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que cet habile avocat ait été contraint de devenir législateur ! Par cette déviation dans sa carrière, les dons qui le distinguent sont devenus plutôt nuisibles qu’utiles à la société. Tout ce qui sert au barreau, la chaleur, l’amplification, certaines limites dans l’esprit qui, empêchant d’y pénétrer des idées trop nombreuses, le défendent de trop d’inquiétude et de clairvoyance, tout cela, toutes ces qualités, nous demanderons compte aujourd’hui à M. Sauzet de leur application :


Vous avez corrompu tous les dons précieux
Que pour un autre usage ont mis en vous les dieux.


M. Sauzet était né pour défendre éternellement la veuve et l’orphelin. Pourquoi ne retournerait-il pas à cette mission sainte et à ses premiers triomphes ? Ne commence-t-il pas à soupçonner qu’on use beaucoup de lui en s’en moquant un peu ? À moins que la candeur qu’il apporta de sa province ne soit pas encore épuisée. On ne saurait reprocher à M. de Barante de ne pas entendre ce qu’il fait. Son rapport à la chambre des pairs est aussi ingénieux et aussi délié que le morceau de M. Sauzet est emphatique et vulgaire. M. de Barante est un homme d’esprit qui a dépensé beaucoup d’art pour accuser la presse avant de la frapper. Il a relevé par de magnifiques éloges les écrivains qui travaillaient à la défense de la liberté sous la restauration ; puis il a opposé à cette gloire les œuvres de la presse depuis cinq ans. Si depuis cinq ans des écrivains ont continué d’écrire, et si d’autres ont commencé, c’est qu’ils étaient mus par une passion odieuse, l’envie, et se proposaient un but détestable, l’anarchie. Il n’y a eu de vertueux et d’honnête que ceux qui n’ont pas écrit, et le dédain de la plume et de la pensée a été le meilleur signe de patriotisme. Allons, monsieur, ne calomniez pas ainsi ceux avec qui vous avez partagé l’honneur de parler et d’écrire devant le pays. Vous et vos amis, vous avez pris le pouvoir. Eh bien ! sachez que nous blâmons chez vous, non l’occupation de la puissance, mais l’usage que vous en avez fait. Respectez donc chez les écrivains le culte persévérant de la pensée ; réprimez les excès, mais ne poussez pas l’impiété de votre ingratitude jusqu’à frapper au visage et au cœur la religion de l’intelligence.