Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
REVUE DES DEUX MONDES.

Triffine est une idéalité trouvée entre le paradis et la terre, dans le monde de la poésie, par quelque candide imagination armoricaine. C’est la jeune captive de Chénier, qui pleure et espère, et qui, au noir souffle du nord, plie et relève la tête.

Quant au drame d’où se détache cette touchante figure, il était fourni par les légendes. C’est une histoire comme toutes nos histoires bretonnes, où l’on trouve un enfant miraculeux, des pirates du nord que le ciel frappe de paralysie, et un évêque avec lequel Dieu entretient une correspondance suivie. Encore dans Sainte Triffine Jésus-Christ ni la Vierge ne viennent-ils dénouer la pièce. L’auteur savait sans doute son Horace :


Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus
Inciderit.


Le jugement de Dieu suffit pour tout éclaircir, et tout mettre à sa place. Ce dénouement, du reste, n’est dépourvu ni de poésie ni de grandeur ; c’est un beau spectacle que cet enfant frappant un homme fort de son glaive et posant son petit pied sur la tête du méchant, en proclamant l’innocence et la sainteté de sa mère, injustement condamnée ; c’était un dramatique commentaire des mots de l’Écriture : Dieu seul est fort ! — Le plus grossier Celte devait les comprendre en voyant ce vengeur de douze ans, debout près du cadavre de Kervoura.

Du reste, le récit du drame de Sainte Triffine, présenté simplement et sans analyse, fera comprendre le charme de cette composition bien mieux que ne le feraient nos réflexions. Nous allons le donner ici, mais en le plaçant dans son cadre et en faisant revivre, autant que nous le pourrons, l’époque pour laquelle fut composée cette tragédie ; peut-être, posée ainsi devant son siècle et entourée de son atmosphère, fera-t-elle mieux ressortir ses simplicités ravissantes, ses grâces paysannes et ses attendrissantes naïvetés de douleur. Ce sera d’ailleurs pour nous une nouvelle occasion de faire connaître un coin de cet immense poème qu’on nomme la Bretagne. D’ici qu’elle ait trouvé son Michel-Ange, pour la peindre en pied, sur une toile à sa taille, il faut s’en tenir aux croquis et aux études qui peuvent du moins la faire connaître en détail.


§. ii.
Une réunion de poètes bretons au seizième siècle.

Le quinzième jour du mois de décembre de l’année 1530 fut un des plus froids qu’où eût vus, de mémoire d’homme, à Bréhand-Loudéac,