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les prisons, malgré leur titre de députés, et l’illustration qui s’attache au nom de ces hommes, exilés quinze ans pour la cause de la liberté. À Bruxelles, M. Nothomb seconde puissamment M. Thiers et M. Guizot. M. Nothomb demande des lois qui correspondent aux lois-Fieschi ; il faut, selon lui, sauver les deux monarchies par les mêmes moyens. Que ne rassure-t-on toutes ces monarchies en péril, en rédigeant ainsi l’ordonnance du roi de Prusse : Il est défendu de siffler, de crier, d’écrire et de parler dans toute l’étendue de l’Europe !

On comprend maintenant pourquoi M. de Talleyrand, le père de l’alliance anglaise, voit avec effroi cette marche nouvelle des affaires, lui qui disait avec joie son nunc dimittis, après avoir accompli ce grand acte diplomatique. M. de Talleyrand ne parlera cependant pas, dans la chambre des pairs, contre la loi, comme on l’espérait. M. de Talleyrand avait dit, il est vrai : Je parlerai contre la loi ; mais c’était (nous ne saurions comment rapporter ce fait, tout innocent qu’il soit, si la loi nouvelle était déjà adoptée) au roi que M. de Talleyrand complait parler contre ces malheureuses lois. Bien qu’un peu tory, M. de Talleyrand serait bientôt impopulaire en Angleterre, s’il ne se séparait pas d’un ministère qui attaque la grande institution nationale du jury ; c’est aussi ce que fait M. de Talleyrand en toute circonstance ; mais, malheureusement, il y a lieu de croire qu’il se contentera d’exercer son influence dans les salons, et qu’il ne montera pas à la tribune. Si cette fantaisie prenait au vieux prince, c’est M. Guizot qui se chargerait de lui répondre, et qui rendrait à M. Thiers le service de fustiger le maître en politique de son petit collègue. M. Thiers, qui n’a pas ménagé M. Royer-Collard, a bien droit d’exiger ce léger service de M. Guizot.

Dans un tel état de choses, le retour est bien difficile. On aurait beau prononcer le mot amnistie, le ministère a si bien su enlacer autour de lui toutes les difficultés de sa position et s’en faire un rempart, qu’il y est en quelque sorte enchâssé. Que ferait un nouveau ministère aujourd’hui ? Il trouverait une chambre compromise par la discussion des nouvelles lois, et qu’il faudrait dissoudre ; un parti violent qu’il faudrait combattre et détruire ; des empiétemens, des violations de la charte, dont il faudrait effacer les traces ou accepter la responsabilité ; l’alliance anglaise à demi rompue ; des engagemens secrets avec les puissances du Nord, qu’il ne lui serait pas permis d’accepter ; les partis irrités par les provocations faites aux vaincus, l’effroi de nouveaux troubles jeté parmi les vainqueurs ; l’administration remplie d’abus nouvellement rétablis. Quel programme pour un nouveau cabinet ! et qui voudra se charger d’une telle tâche ? La seule nécessité de dissoudre la chambre a détruit toutes les combinaisons