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apparence, s’élève une voix supérieure, une pensée formée de toutes ces pensées, une connaissance du bon et du vrai, née de toutes ces révélations, qui s’éteindront avec la liberté de discussion, avec l’indépendance de la presse. Le pays craint les complots, il les redoute avec raison, et il prête les mains à ce qu’on étouffe les cent voix loyales, officieuses ou indiscrètes qui révèlent tous les complots. Il souffre qu’on éteigne, crainte d’incendie, une partie de ces lumières qui ne laissaient rien dans l’ombre. Il veut voir, jusqu’au fond de l’ame, les partis qui lui semblent redoutables et ennemis, et il consent à ce qu’on refoule leurs pensées au fond de leur cœur, qu’on leur défende de les laisser sortir. Voilà ce que fait la grande majorité du pays, qui se croit désintéressée et étrangère dans cette question nationale de la presse.

L’autre, minorité réelle, et majorité par le choix qu’on en a fait, se compose de tous ceux qui ont des comptes à rendre et qui voudraient n’en rendre pas ; d’hommes qui trouveraient doux et bon de jouir à la fois de l’obscurité de la vie privée et des avantages de la vie publique, et de cette innombrable bande d’ambitieux, hauts et bas, qui voudraient un pouvoir immense aux mains de leurs éternels patrons, les ministres de tous les temps, afin d’en morceler une petite portion à leur bénéfice. Il y a là une école d’hommes d’état qui rêve l’anéantissement des constitutions afin d’arriver aux ministères à vie, tels qu’ils existaient, en quelque sorte, sous le règne de Napoléon, lequel, n’ayant pas de comptes à rendre à l’opinion publique, gardait ses ministres par cette raison qui fait qu’on préfère les vieux serviteurs qu’on a dressés et rompus à ses habitudes. Il y a encore là une école de magistrats qui voudrait bien que la faveur et la servilité donnassent l’hermine et surtout la simarre, au lieu du talent et de l’éloquence qu’il faut maintenant, quoiqu’un honnête et obscur interprétateur d’hypothèques comme M. Persil se trouve aujourd’hui coiffé du bonnet fourré de d’Aguesseau. Il y a encore une école de généraux qui, n’ayant pu trouver l’avancement sur un champ de bataille, cherche le bâton de maréchal dans les ruisseaux de nos grandes villes, au milieu de l’émeute ; qui, lassés de la guerre étrangère, et ayant demandé, dès leur âge mûr, merci à leur terrible et infatigable empereur, cette épée toujours nue, se sentent comme un regain de jeunesse pour la guerre civile et l’extermination de leurs compatriotes. Enfin il y a des fonctionnaires de toutes les classes qui ont toujours été plus royalistes et plus ministériels que tous les rois et les ministres passés. Il y a d’insoucians députés que mènent quelques furieux, et qui ne se croient pas coupables, parce qu’ils votent froidement et de complaisance de déplorables lois ; esprits