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REVUE. — CHRONIQUE.

et inouie, leur semblera encore trop libre. Le jury, morcelé dans sa majorité, leur paraîtra trop indulgent. On ne cherchera pas une prison plus voisine du pôle que celle de Pondichéry ou de Miquelon, pour y plonger des écrivains, parce que, grâce à Dieu, nos possessions ne vont pas plus loin ; on ne demandera pas plus d’argent aux journalistes, sous forme de cautionnement et d’amende, parce qu’on sait que la nouvelle loi arrive au fond de leur bourse ; mais on en finira, par cette belle et dernière occasion, des deux ou trois principes de la charte qui gênent encore ; mais M. Guizot fouillera dans ses vieux portefeuilles de la restauration, et il y trouvera quelques lois d’exception jaunies, qui n’attendent, depuis vingt ans, qu’une émeute ou une tentative d’assassinat pour sortir. C’est alors qu’on se réjouira et qu’on se félicitera d’avoir touché au but. Allons, courage ; un peu d’espoir et de patience, et le bon temps arrivera. Vienne encore quelque journée de malheur à la France, quelque grand désastre qui nous accable, quelque crime individuel qui nous déshonore comme nation, qui fasse frémir d’indignation et de douleur les honnêtes gens de tous les partis, et la curée des libertés populaires recommencera, les rêves ministériels se réaliseront. Nous saurons alors le secret de ces lettres que le général Bugeaud montre mystérieusement à la tribune. Le despotisme qu’on aperçoit à travers les trous de la charte de 1830, lèvera sa tête avec orgueil, et ces paroles prophétiques de M. Thiers seront confirmées : « Avant quatre ans, nous serons plus absolus et plus puissans que Napoléon à l’époque de sa plus grande gloire. » Dieu seul peut préserver le pays de cet avenir ; car pour la France, elle semble bien indifférente à tout cela.

Les ministres actuels ont si souvent proclamé que la presse cause tous les maux du pays, qu’elle y fait naître tous les désordres qui l’affligent, que le pauvre pays a fini par les croire, ne s’apercevant pas que la presse, c’est lui-même, lui le pays, avec ses cris de douleur quand il souffre, ses cris d’impatience quand on lui refuse justice et qu’on ne s’occupe pas de ses besoins, avec ses élans de joie quand il conçoit la moindre espérance d’une amélioration qui, hélas ! ne se réalise pas, avec ses alternatives de confiance et de doute ; le pays, qui ne sait rien taire et rien cacher ; le pays, composé de tout ce qui fait un peuple, de science et d’esprit, d’ignorance et de grossièreté aussi, de bons sentimens et de mauvaises passions, d’orgueil et d’indépendance, exagérée souvent comme dans la presse avancée, de basse servilité et d’humbles soumissions comme plus souvent encore dans la presse ministérielle. On n’a pas vu que de tout ce mélange de bien et de mal, de ces cris confus en