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L’ÉGYPTE MODERNE.

acquiert toute la portée d’une question universelle. — Après le barrage du Nil, la canalisation de l’isthme de Suez. — L’œuvre de Nécon, de Darius, des Ptolémées, de Trajan et d’Omar, Mohamed-Ali l’entreprendra à son tour. Les canaux creusés à différentes époques, du Nil au golfe Arabique, suffisaient à peine au commerce de deux peuples voisins. Celui qu’on projette aujourd’hui, tracé sur une plus large échelle, et joignant les deux mers sans passer par le fleuve, évitera à nos vaisseaux le circuit de l’Afrique, et ouvrira au commerce de l’Europe les portes de l’Inde. Mohamed-Ali se prêtera par un instinct de gloire à l’exécution de cette grande pensée : près de lui sont des hommes qui s’y consacreront par un ardent amour de l’humanité.

Et là ne s’arrête point l’ambitieuse philanthropie de ces hommes étranges, qui, précurseurs sans doute d’un siècle moins égoïste que le nôtre, se sont voués à la réalisation de toutes les idées fécondes. Déjà leurs regards se portent sur l’isthme de Panama, où l’un d’eux vient d’être envoyé en reconnaissance. Ils veulent ouvrir entre les deux Amériques, aux navires du plus fort tonnage, un passage que quelques travaux ont déjà rendu praticable aux petites barques des côtes.

Ce serait, on le sent, le complément de l’œuvre de Suez. Cette double opération achevée, un vaisseau parti de Bordeaux entrerait dans la mer des Indes par la Méditerranée et le canal d’Égypte, traverserait les archipels de l’Océanie et l’Océan pacifique, puis rentrerait dans l’Océan atlantique par l’isthme de Panama, c’est-à-dire que son périple décrirait autour du globe un grand cercle à peu près régulier.

Des conséquences d’un si haut intérêt appelleront l’attention des hommes graves sur les travaux entrepris aux bords du Nil. Notre siècle commence à se lasser de l’idéologie, et partout déjà l’on s’est mis à la pratique. La Russie et l’Allemagne sillonnent leurs vastes territoires par des lignes de chemins de fer ; la Suède vient de joindre la mer du Nord à la Baltique par le magnifique canal de Gotha ; les états d’Amérique adaptent leurs nombreux cours d’eaux à la navigation intérieure ; l’Angleterre semble prendre à tâche de présenter le résumé complet de toutes les découvertes nouvelles ; la France enfin ne peut tarder d’entrer fran-