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de Cham, Mesraïm, vint planter ses tentes dans la vallée bienheureuse. D’autres s’étaient aussi approprié des champs fertiles, Nemrod la Mésopotamie, Assur les campagnes bitumineuses du Jourdain[1], des fondateurs inconnus les rives de l’Indus et du Gange, celles du Si-Kiang et du Houang-Ho. Partout des sociétés s’étaient organisées sur les bords des grands fleuves ; mais les unes étaient resserrées dans des limites trop étroites ; les autres voyaient leurs villes renversées par des éruptions volcaniques, celles-ci avaient peine à se défendre contre les rigueurs du climat, celles-là contre les attaques des animaux féroces. Bref, aucune d’elles n’avait rencontré tous les élémens de progrès que présentaient réunis les rives du Nil, région si favorable au développement social, qu’Abraham y trouva déjà un empire florissant, au temps où le reste du globe ne comptait encore qu’un petit nombre de faibles cités[2].

Mais ce ne fut point dans la partie de l’Égypte visitée par le patriarche, que la société fonda ses premières institutions. Elle dut naturellement se fixer d’abord sur les terrains dont la base jouissait du bénéfice de l’inondation, et dont les sommités étaient à l’abri de ses atteintes, dans les îles par exemple. Cette localité détermina sans doute l’origine de l’état théocratique de Méroé, empreint de ce matérialisme que devait inspirer aux hommes le sentiment primitif des bienfaits de la nature. L’association humaine suivant le cours du fleuve, les îles d’Éléphantine et de Philœ reçurent de nouveaux établissemens. Enfin, enhardie par ces premiers succès, la société ne se borna plus à ses positions insulaires : des colonies descendirent sur la rive, et imposant leur volonté à la puissance terrestre devenue passive entre leurs mains, elles commencèrent à diriger le fleuve par des canaux et à le contenir par des digues. Peut-être faut-il rapporter à ces temps inconnus la construction d’une chaussée qui existe encore, élevée à travers le désert pour rattacher Éléphantine à Méroé, et pour suppléer à la navigation interrompue dans cet intervalle par des accidens de terrain.

  1. Genèse, chap. x.
  2. Genèse, chap. xii.