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L’ÉGYPTE MODERNE.

pussent jamais y porter de pluies, et troubler par des accidens atmosphériques la sérénité de son climat. Enfin elle éleva sur l’une et l’autre rive un rempart de rochers qui arrêtèrent l’invasion des sables, et continrent dans la vallée les débordemens du fleuve.

Puis quand elle eut ainsi disposé l’architecture de cette retraite, et qu’elle lui eut créé une nature spéciale, la terre y rassembla tous les trésors de sa fécondité, et elle en fit un jardin de délices. Elle y répandit l’ombrage de l’acacia et du sycomore, afin que le bien-aimé trouvât la fraîcheur et le sommeil sous ces dômes embaumés ; elle y multiplia le lotus aux racines et aux fruits succulens, le bananier dont la figue croît à la portée de la main de l’homme, et le dattier dont l’écorce échelonnée lui présente des degrés faciles pour atteindre ses grappes courbées vers le sol. Elle étendit en longs filons, dans le sein des rochers des deux rives, l’or, le fer et le cuivre, afin que l’homme eût à sa disposition un magasin de métaux : elle y accumula au midi le granit, au nord la pierre calcaire, dans la partie moyenne les grès de toutes couleurs, afin qu’il embellît sa demeure, et qu’il pût créer à son tour[1]. Le cheval, le bœuf, le chameau, tous les animaux destinés à son usage, elle les acclimata dans la vallée bénie, et elle relégua au sein des déserts les bêtes aux cris effrayans, aux instincts sanguinaires. Le crocodile fut le seul fléau qu’elle ne put éloigner (mais l’homme devait bientôt vouer à ce monstre un culte religieux, sanctifiant dans sa gratitude jusqu’aux imperfections du monde matériel). Enfin tout ce qui dut flatter les goûts et pourvoir aux besoins de son seigneur, tout ce qu’elle put produire pour lui être douce et facile, la terre le réunit dans cet asile. Ce fut là surtout qu’elle appropria sa nature à la nature de l’homme, en un mot qu’elle s’humanisa.

Aussi l’intelligence humaine et l’intelligence terrestre ne tardèrent pas à se comprendre. Les hommes commençaient à peine à se répandre dans les diverses contrées, qu’un chef de famille, un fils

  1. Cette division lithologique est celle qu’indiquent si distinctement, par la nature de leurs matériaux, les monolithes de Philœ, les temples du Sayd et les pyramides de la Basse-Égypte.