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L’ÉGYPTE MODERNE.

échevelées, des tourelles gothiques élevant leurs flèches au milieu de massifs touffus ; c’était la France, c’était la Sologne, avec son sol plat, ses étangs, ses bois de pins et de bouleaux, ses agrestes ermitages ; et tout cela représenté sans couleurs et sans nuances, il est vrai, mais avec une telle ressemblance de formes, qu’à une distance assez éloignée pour répandre une même teinte vaporeuse sur tous les objets, la réalité n’eût rien offert de plus net, de plus distinct et de plus achevé. Mes guides me montraient avec orgueil ces merveilles de leur pays, et moi j’étais heureux d’y retrouver la fidèle image du mien. Leur imagination peuplait ces lieux fantastiques de gnomes et de péris, et moi je songeais aux bons génies qui m’attendaient dans la paisible retraite évoquée à mes yeux ; je pensais à ma mère que mon retour rendrait heureuse, aux amis qui me donneraient plus de vrai bonheur que n’en pouvaient rêver dans leurs songes dorés mes compagnons de voyage. Je venais de me rendre compte des influences qui avaient toujours fait des Arabes un peuple religieux ; je sentis également, à la vue du mirage, pourquoi la féerie était devenue pour eux une seconde religion. Comment, en effet, ne seraient-ils pas plus que tous les autres hommes, conteurs brillans et rêveurs crédules ? comment leur pensée ne se montrerait-elle pas vagabonde et leur parole pleine d’images, puisqu’ils sont aussi souvent impressionnés par un monde imaginaire que par le monde réel ? Et quand l’Européen lui-même reste sous le charme de toute cette magie, comment l’Arabe ne la réfléterait-il pas dans ses croyances et dans ses œuvres, lui qui n’est point armé du scalpel de la science pour réduire ces hallucinations à leur valeur physique, et qui ne les regarde qu’à travers le prisme de la poésie ?

Cette journée devait être un résumé de tous les phénomènes du désert. Après le mirage vint le khamsyn. Il souffla sur ces riantes illusions, et tout disparut. D’abord les rides qui fronçaient la surface de l’arène s’agitèrent avec un léger frôlement ; puis la plaine devint houleuse ; puis enfin ce furent de grosses vagues qui roulèrent en mugissant, et nous couvrirent d’une pluie desséchante. Je reconnus cette poussière de sable que j’avais déjà vue, dans la rade d’Alexandrie, obscurcir le soleil comme un brouillard sanguin, et tomber par couches sur les ponts des navires. Nous n’avancions