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L’ÉGYPTE MODERNE.

et une fois pour toutes, vous mettent en mesure de parcourir sans plus de formalités une ligne de six cents lieues. J’ajouterai que les voyageurs n’achètent ces facilités au prix d’aucun péril. Le temps est passé où les fellahs voyaient des nuées de voleurs fondre sur leurs moissons : grâce à Mohamed-Ali, la grande route et les chemins de traverse, c’est-à-dire le Nil et ses canaux, sont aussi sûrs aujourd’hui que les rues de nos villes. L’Égypte est peut-être la contrée où l’on voyage, non le plus rapidement, mais avec le moins de frais, de risques et d’entraves.

La kange, embarcation légère marchant à la voile et à l’aviron, est la voiture du pays. En Égypte, tous les gens aisés ont leur kange, comme à Venise leur gondole. Quant aux étrangers, il y a toujours près des embarcadères une flotte de louage à leur disposition. La barque du Delta, plus grande généralement que celle de l’Adriatique, est pontée dans toute sa longueur, et porte sur l’arrière une cabane divisée en deux compartimens destinés, l’un aux passagers, l’autre à leurs bagages. Le chiffre de l’équipage varie depuis trois jusqu’à trente hommes. Une voile à antenne d’une immense envergure entraîne rapidement l’esquif favorisé par le vent. S’agit-il de naviguer sur les canaux ou de remonter le Nil avec des vents contraires, les bateliers mettent pied à terre et hâlent la kange. Il leur arrive souvent de la traîner ainsi depuis le lever jusqu’au coucher d’un soleil brûlant, sans prendre de nourriture : le soir, halte d’une demi-heure pour manger quelques fèves et un peu de pain de doura ; puis ils reprennent leur collier pour toute la nuit, et continuent ainsi pendant quinze jours de suite.

Quels ressorts et quelle trempe que cette race arabe ! Et en même temps quelle patience et quelle douceur ! Il faut se représenter toute la puissance de l’habitude et des croyances religieuses, pour comprendre comment un peuple si énergique se laisse conduire à la baguette par une faible aristocratie, et se résigne si facilement à sa misère ; car rien n’égale la misère des fellahs. Nos hameaux les plus pauvres sont des cités magnifiques auprès des villages du Mahmoudieh. À la vue de ces huttes de terre, on a peine à se persuader que de semblables taupinières soient destinées à abriter des hommes. Et quand on y pénètre, quels tableaux !