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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

lement continuel de sable, des tuiles du toit qui, tombant dans les pampres, éveillent mille autres bruits dans leurs feuilles émues ; c’est à croire qu’une nuée de sorcières et de manches à balais prennent leurs ébats sur les combles. Mais c’est tout simplement la maison qui tombe en poussière, en attendant qu’elle tombe en ruines ; elle se lézarde, s’écaille, et à chaque instant sème du gravier dans mes cheveux. Eh quoi ! chère maison déserte, tu veux déjà t’écrouler ! tu dureras donc si peu de temps ? Asile sacré où j’ai médité seul et dans le silence une si belle page de ma vie, seuil hospitalier que je veux baiser en partant, murailles sonores où j’ai dormi si paisiblement sous l’aile de mon ange gardien, asile étroit et simple, beau de propreté et d’ordre au dedans, délicieux d’abandon et de désordre au dehors, n’étais-tu pas déjà mon refuge et mon abri ? ne m’appartenais-tu pas en quelque sorte ? et ne te préférais-je pas aux palais que les hommes recherchent ? Ah ! tu aurais suffi aux besoins et aux désirs de ma vie entière. J’aurais lu les pères de l’église et les traités des saints sur la vie solitaire, dans ta monastique enceinte ! J’aurais fait ici de beaux rêves de perfection, si faciles à exécuter loin des bruits du monde et des vains discours des hommes ! je m’y serais purifié des souillures de la vie ; je m’y serais enseveli comme dans un cercueil de marbre sans tache ; j’aurais mis tes vieux murs et tes rideaux de vigne en fleurs entre le siècle pervers et mon ame timorée. Je n’en serais sorti que pour essayer de bonnes œuvres, j’y serais rentré dès que ma tâche eût été accomplie, afin de ne pas en commettre de mauvaises ; et tu veux déjà retourner à la terre, des entrailles de laquelle tes matériaux sont sortis ! Fatiguée d’obéir aux volontés de l’homme, tu veux te briser et t’abattre pour te reposer, matière que la pensée humaine avait animée ! Et quand je repasserai ici, je ne trouverai peut-être plus que des ruines, à cette place où j’ai salué des lambris hospitaliers ! — Mais de quoi m’occupé-je, ô insensé ! Insecte à peine éclos ce matin, je m’inquiète de la destruction de la pierre et de la courte durée du ciment séculaire, quand ce soir je ne serai déjà plus ; je plains ces murs qui se fendent, et les rides qui s’amassent à mon front, je ne les compte pas. Avant que ces herbes soient flétries, mes cheveux peut-être auront quitté mon crâne ; avant que