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Mattea, qui avait pris un peu de la fourberie moqueuse de son mari, Timothée était réellement fou d’amour pour vous. Rassemblez bien vos souvenirs, vous ne pourrez en douter. Il songeait à se tuer par désespoir de vos dédains. Vous savez que de mon côté j’avais mis dans ma petite cervelle une passion imaginaire pour notre respectable patron Abul-Amet. Nous partîmes ensemble, moi pour suivre l’objet de mon fol amour, Timothée pour fuir vos rigueurs qui le rendaient le plus malheureux des hommes. Peu à peu, le temps et l’absence calmèrent sa douleur, mais la plaie n’a jamais été bien fermée, soyez-en sûre, madame, et s’il faut vous l’avouer, tout en demandant sa grace, je tremble de l’obtenir, car je ne songe pas sans effroi à l’impression que lui fera votre vue. — Rassure-toi, ma chère fille, répondit la Gica tout-à-fait consolée, en embrassant sa filleule, tout en lui tendant une main miséricordieuse et amicale, je me souviendrai qu’il est maintenant ton époux, et je te ménagerai son cœur, en lui montrant la sévérité que je dois avoir pour un amour insensé. La vertu que, grâce à la sainte madone, j’ai toujours pratiquée, et la tendresse que j’ai pour toi, me font un devoir d’être austère et prudente avec lui. Mais explique-moi, je te prie, comment ton amour pour Abul s’est passé, et comment tu t’es décidée à épouser ce Zacharias que tu n’aimais point.

— J’ai sacrifié, répondit Mattea, un amour inutile et vain à une amitié sage et vraie. La conduite de Timothée envers moi fut si belle, si délicate, si sainte, il eut pour moi des soins si désintéressés et des consolations si éloquentes, que je me rendis avec reconnaissance à son affection. Lorsque nous avons appris la mort de ma mère, j’ai espéré que j’obtiendrais le pardon et la bénédiction de mon pauvre père, et nous sommes venus l’implorer, comptant sur votre intercession, ô ma bonne marraine ! — J’y travaillerai de mon mieux ; cependant je doute qu’il pardonne jamais à ce Zacharias, à ce Timothée, veux-je dire, les tours perfides qu’il lui a joués. — J’espère que si, reprit Mattea ; la position de mon mari est assez belle maintenant, et ses talens sont assez connus dans le commerce, pour que son alliance ne semble point désavantageuse à mon père. La princesse fit aussitôt amener sa gondole, et conduisit Mattea chez M. Spada. Celui-ci eut quelque peine à la reconnaître sous son habit sciote. Mais, dès qu’il se fut assuré que c’était elle, il lui