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point chez nous de lignes parfaitement droites et pures. Néanmoins j’approuve le physionomiste de critiquer ces charges de l’antiquité, que les peintres médiocres de son temps prenaient pour l’idéal. Il distingue les chefs-d’œuvre de la Grèce de ces têtes de médailles qui se frappaient grossièrement, et sur lesquelles la presque absence de front, la perpendicularité raide et courte du nez, la proéminence grotesque du menton et l’écartement des yeux ne produisent qu’une caricature affreuse de la beauté. Il s’afflige de voir que l’esprit d’un minutieux examen et d’un discernement rigoureux n’ait pas assez présidé à la connaissance que les plus grands peintres eux-mêmes ont prise de l’antique. Chez Raphaël, qu’il place à la tête des artistes, il trouve un peu d’exagération dans la perfection. « Partout, dit-il, nous retrouvons dans ses œuvres le grand qui fait son principal caractère ; mais partout aussi nous apercevons le défaut. J’appelle grand ce qui produit un effet permanent et un plaisir toujours nouveau. J’appelle défaut ce qui est contraire à la nature et à la vérité. » Après un long et scientifique examen des incorrections et des sublimités des principales figures de Raphaël, après avoir démontré que telle tête d’ange ou de vierge perd de sa divinité pour avoir voulu dépasser la nature, Lavater termine son analyse par ce noble éloge :

« Raphaël est et sera toujours un homme apostolique, c’est-à-dire qu’il est à l’égard des peintres ce que les apôtres du Christ étaient à l’égard du reste des hommes ; et autant il est supérieur par ses ouvrages à tous les artistes de sa classe, autant sa belle figure le distingue des formes ordinaires. — Où est le mortel qui lui ressemble ? Quand je veux me remplir d’admiration pour la perfection des œuvres de Dieu, je n’ai qu’à me rappeler la forme de Raphaël ! »

Cette passion sainte pour le beau, parce que, selon Lavater, la vraie beauté physique est inséparable de la beauté de l’ame, s’exprime en plusieurs endroits de son livre avec une véritable naïveté d’artiste. Voici ce qu’il dit à propos d’une bouche : « Cette bouche a de la douceur, de la délicatesse, de la circonspection, de la bonté et de la modestie. Une telle bouche est faite pour aimer et pour être aimée. » — Ailleurs, à propos de l’expression de la