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les esprits avancés ; mais il n’y avait qu’un homme qui pût la réaliser et la rendre populaire ; cet homme, c’était Érasme.

Des détails de mœurs intéressans, un dialogue spirituel, aimable, quoique gâté par une quantité de pointes, un cadre heureux, une latinité naturelle, font lire encore, même par des personnes qui n’ont aucune prétention au titre d’érudits, les deux ouvrages les plus littéraires d’Érasme, les Colloques et l’Éloge de la folie. Le dernier, écrit avec plus de recherche que les Colloques, dans un latin plus savant, est une galerie critique des différens états au temps d’Érasme. La Folie, sous les traits d’une femme portant de longues oreilles qui se terminent par des grelots, monte en chaire et renvoie à toutes les professions sa qualification de folie. Le clergé a la meilleure part du sermon. Depuis le moine jusqu’au pape, toute la hiérarchie sacerdotale reçoit de la Folie des leçons d’ailleurs assez prudentes, surtout quand elle arrive aux premiers degrés, au peuple mitré et empourpré. Il faut lire ce petit livre dans l’édition de Bâle, avec le commentaire le plus piquant qui en ait été fait ; je veux parler des dessins d’Holbein mêlés au texte, et qui mettent en action les ingénieuses peintures de la Folie[1]. Les personnages d’Érasme, un peu embarrassés dans les belles périodes du texte, vivent et se remuent dans les dessins d’Holbein.

De temps en temps, Érasme ajoutait un colloque à son recueil. Soit qu’il eût été vivement frappé d’un ridicule, soit qu’il voulût donner son sentiment sur quelque point de théologie, sous une forme plus légère que celle de la dissertation, soit qu’il eût quelque petite vengeance innocente à tirer d’un ennemi en lui donnant le vilain rôle dans un dialogue, il arrangeait un petit cadre et y mettait son opinion dans la bouche d’un personnage nommé d’un ou de deux mots grecs, exprimant une ou deux qualités, et qui avait d’ordinaire tous les honneurs de l’entretien. Plusieurs des colloques d’Érasme datent du moment le plus chaud de ses querelles religieuses : ils sont plus longs, plus hérissés de citations, plus orthodoxes et plus ennuyeux. Le tour en est moins vif, et la

  1. Vous voyez que les éditions illustrées ne sont pas une nouveauté. Holbein avait illustré Érasme avant que M. Gigoux illustrât le Gil Blas.