affublé de la pourpre romaine, lui qui avait vanté la simplicité de la primitive église, attaquant indirectement, sous ces éloges d’un autre temps, l’opulence des prélats et le faste de leurs mœurs ? Quelle figure ferait-il dans les processions ou dans les conclaves, à la suite de ces hauts cardinaux, taillés comme des barons en guerre, et gouvernant leurs chevaux fougueux comme des pages de l’empereur, lui, vieillard cassé, planté sur une mule, entre deux valets, ou porté en litière comme une femme du sérail de ses collègues ? Faudrait-il donc apprendre le langage hypocrite ou violent des prélats de l’église romaine, et faire du zèle apostolique contre la réforme, lui qui avait toujours eu le parler libre, et s’était tant moqué du faux zèle, de la violence et de l’hypocrisie ? L’argent ne le tentait pas plus que les places. Qu’il en eût assez pour payer ses domestiques, pour chauffer sa chambre sans poêle, pour boire de temps en temps sa cuillerée de vieux vin de Bourgogne mêlé de jus de réglisse, pour envoyer quérir à toute heure le meilleur médecin du lieu, pour pouvoir renouveler sa robe et ses fourrures sans le secours de Froben, pour entretenir quelques messagers sur les grandes routes de l’Allemagne et de la Flandre, c’était tout ce qu’il demandait à Dieu ; aux hommes, il leur demandait qu’il leur plût de l’en laisser jouir.
Il passa sept années à Fribourg, au milieu de souffrances presque sans interruption, de travaux sans relâche, — il avait à la fois sur les bras les cicéroniens et les luthériens, la grande querelle religieuse et la grande querelle littéraire du temps, Luther et Budé[1], — et de deux ou trois pestes qui enlevèrent autour de lui ses amis et ses domestiques. Ses maux devenaient intolérables. Une tristesse pleine de pressentimens avait remplacé peu à peu cette humeur douce et ces habitudes de raillerie aimable qu’il conservait jusque dans ses souffrances. Il était las de Fribourg et de sa belle maison. Il voulait revoir sa vraie patrie, Bâle, le petit jardin de Froben, et le pavillon où il avait traduit quelques ouvrages de saint Chrysostôme ; il voulait surveiller l’impression de son Ecclésiaste, qu’il avait confié aux presses de Froben, comme son dernier titre auprès de Dieu et des hommes. Il avait souffert,
- ↑ Je reviendrai sur les détails de cette querelle dans l’étude de Budé.