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blable à Diane. Venaient ensuite les deux frères de la jeune héroïne ; vous auriez dit les deux jumeaux de Léda. Parmi tant de dieux et de déesses, moi, pauvre scarabée, interpellé nominalement par Jupiter, je m’assis à la septième place, repaissant mes yeux d’or, de pierreries et de pourpre, mes oreilles de doux accords, mon palais d’ambroisie et de nectar. La faim apaisée, et les tables enlevées avec les mets, on chante des actions de graces aux dieux[1] ; nous nous levons ; les uns jouent aux dés, les autres aux échecs. Je suis appelé auprès du prince ; là s’engage une conversation pleine de complimens pour toi. Le prince n’a rien de plus cher que toi. Il veut te voir, te serrer dans ses bras, te traiter comme son père, comme une divinité tombée du ciel sur la terre. Viens donc sans retard ; prends garde, au nom du Dieu immortel, qu’un si grand héros n’ait trop long-temps à souffrir du tourment de t’attendre. »

C’est avec les hommes éminens qui représentaient dans toute l’Europe l’opinion intermédiaire entre le catholicisme pur et le protestantisme révolté, qu’Érasme entretint, pendant les deux dernières années de sa vie, un commerce quotidien de lettres. Les plus nombreuses et les plus détaillées roulaient sur les affaires, sur les progrès de la réforme, sur les livres de ses docteurs, sur les querelles entre Érasme et ses ennemis, les Stunica, les Beda, la Sorbonne tout entière. On le consultait, on lui demandait des directions ; il répondait par des discussions très développées, et ses lettres étaient lues et répandues comme des traités. Bon nombre s’occupaient de la situation littéraire ; plusieurs étaient des jugemens sur quelques hommes éminens en érudition profane, ou des biographies de morts illustres. À la troisième catégorie de lettres appartenaient toutes celles qu’il répondait à ses principaux amis, à certaines époques, comme des témoignages périodiques de son souvenir, lettres charmantes où il parlait d’ordinaire de sa vie intérieure, de ses souffrances physiques si courageusement endurées, de sa vieillesse, de ses études, de ses prodigieux travaux. Enfin, une quatrième catégorie com-

  1. 229. D. F. — Traduisez : on dit les graces. Cette lettre est piquante comme détail de mœurs. Ces chrétiens étaient païens de cœur.