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ÉRASME.

une révolution complète. Luther arriva bientôt, qui lui enleva les derniers ; il faisait mieux leur affaire ; c’était l’homme de la révolution. Érasme garda autour de lui, et jusqu’à son dernier jour, tout ce qu’il y avait d’hommes sensés, tolérans, désintéressés, entre les catholiques incorrigibles et les réformistes déclarés. Ce fut là sa royauté dernière, royauté plus solide et plus vraie que celle dont l’avait dépossédé Luther.

C’est à cette foule de bons esprits, fort nombreux même alors, pour l’honneur de notre espèce, qu’Érasme servit jusqu’à la fin de chef et d’organe ; pourquoi ne dirais-je pas de roi ? car quel sujet a dit d’un roi ce que Frédéric Nauséa, conseiller du roi Ferdinand, écrivait sur Érasme : « Quoique nous fussions séparé de lui par des provinces, nous nous sentions entraîné vers lui par une si grande autorité, que jamais il ne nous arriva de méditer, d’écrire, de dicter, de manger, de boire, de dormir, de veiller, sans penser à lui, et sans que son image nous fût présente. Toute autre pensée était absorbée par la contemplation de ce grand homme ; nous l’entendions, nous le voyions ; nous demandions à quiconque venait de loin : vit-il encore ? que fait-il ? quelle santé a-t-il ? Que va-t-il nous envoyer de nouveau de son Afrique[1] ? »

Parmi ces sujets si dévoués, si tendres, qui dépérissaient pour lui, comme dit encore Nauséa, Érasme comptait des princes, oui, des princes régnans. Lisez cette lettre de Berselius, qui s’était fait l’interprète des sentimens particuliers d’un de ces princes pour Érasme : « J’ai remis au prince ta lettre et ta paraphrase. Il a lu la lettre et a embrassé à plusieurs reprises la paraphrase, en s’écriant avec un accent de joie : Érasme !… Je suis resté un jour… Après la messe, on s’est mis à table. Nous entrons dans la salle du festin, ornée de grands et nombreux tapis. Peu après on apporte de l’eau pour laver les mains. Le prince s’asseoit, ayant près de lui son frère Robert, le grand guerrier, l’Achille de notre siècle. La femme du héros occupait la troisième place, Pénélope par sa vie, Lucrèce par ses mœurs. À la quatrième était assise leur fille, déjà nubile, et, par ses traits, sem-

  1. Friderici Nauseæ Monodia, tome ier de l’Édition de Leyde.