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REVUE. — CHRONIQUE.

aussi mettre le feu à un baril de poudre, afin de faire sauter en l’air son amant, et mille autres facéties. L’auteur de cette belle comédie italienne dont le nom n’est point venu jusqu’en France, habitait une maison de matelots, espèce de trattoria ou de taverne. Quand il avait fini l’un de ses opéras, il payait le passage sur une phalance, sorte de barque napolitaine, pour lui et son ballet. Tous les deux arrivaient à Naples un peu mouillés ; mais, leur toilette faite, tous les deux étaient reçus.

Chaque fois que j’ai vu un libretto, j’ai toujours pensé depuis à cet honnête homme d’Italien. Quand Renati aurait pu faire un beau poëme pour le théâtre Saint-Charles, un poëme appelé Mas’Aniel ou Felippo secondo, il écrivait Rosina, c’est-à-dire une bluette. Il habitait Amalfi sans prétexte et sans profit. M. Henri, le compositeur de l’Île des Pirates, m’a semblé son digne pendant. M. Henri, en créant d’abord le baquet Ventadour pour ses évolutions nautiques, m’avait très fort intéressé ; je suis de ces gens qui aiment les tempêtes dans un verre d’eau. Le fameux verre d’eau de M. Henri a noyé trois cents actionnaires ! Une fois ses habits séchés, M. Henri, on avait quelque raison de le croire, ne tomberait plus dans l’eau ; il aborderait quelque belle époque ; il nous ferait grâce des tritons et des anciens fleuves ; l’homme qui avait si bien mis en scène le sujet de Guillaume Tell, pouvait à coup sûr prendre sa revanche. M. Henri n’a pas voulu en démordre. Il s’est abouché avec des pirates de je ne sais quelle mer ; il n’a pas même eu le bon esprit de fréquenter ceux de Walter Scott ; il n’a pris souci ni de Cleveland, le beau capitaine, ni de Magnus Troil, le vieux roi de ces contrées, ni de la sorcière si admirable du roman, ni, ce qui est plus grave, de Minna et de Brenda, les deux jolies sœurs, étroitement unies comme les Elssler, poétiquement flottantes, Minna et Brenda, les deux belles jeunes filles que Tony Johannot a posées rêveuses sur leur rocher ! Le chorégraphe n’a rien vu de tout cela. Les pirates de M. Henri dansent sur terre et sur mer ; ils allument leurs cigares à côté de la sainte-barbe. Ils boivent dans des coupes de carton doré, et portent des pantalons en pierreries. Ce sont des pirates à joues roses, des fashionables de la Chaussée-d’Antin qui font la traite des noirs. Si j’étais femme, je voudrais être femme de pirate ; il faut voir comme elles sont heureuses à bord ! Elles dansent, elles boivent, elles battent du tambour avec les Nègres. Le vent fait craquer la membrure de ce navire, et elles dansent ; le canon tonne, elles écoutent encore les roulemens de Mme Montessu. Mme Montessu, dans cette pièce, passe à la première légion, elle a reçu de droit hier son brevet de grenadier. Mlles Elssler, pour ne pas être en reste avec Mme Montessu, tirent l’épée dans ce ballet, les chœurs font le coup de pistolet comme un étudiant en droit. Dans quelle île et sous quel degré de latitude ont lieu ces évolutions ? Le livret n’en dit rien. C’est un peuple expéditif que ce peuple de pirates ! Un matelot se bat près de sa cambuse, il jette son bonnet rouge à la tête d’un contre-maître, et M. Montjoie, le chef des pirates, le tue à bout portant et sans conseil de guerre préalable !

Mais tout cela est interrompu par des danses ; à ces meurtres succèdent les juges. De temps immémorial, les côtes de Barbarie n’avaient vu tant