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REVUE DES DEUX MONDES.

Rentrait paisiblement à sa maison du bourg,
Où ses autres enfans attendaient son retour.

Or, comme je le sais d’une humeur inquiète,
Sitôt que je le vis, je détournai la tête
Et me cachai derrière une touffe de lis ;
Mais lui, venant à moi d’un air grave : — mon fils !
Me dit-il, quand les fleurs où tu te réfugies
Seraient, par le pouvoir de certaines magies,
Plus hautes sur leur pied qu’un cèdre du Liban ;
Quand la feuille attachée à leur calice blanc
Se déploierait dans l’air plus large et plus épaisse
Cent fois qu’il ne convient aux lis de cette espèce,
Je t’aurais néanmoins découvert, ô mon fils !
Car bien avant mes yeux mon cœur t’avait surpris.
Tu vas croire peut-être ici que je plaisante,
Mais il en est de toi tout comme d’une plante :
Quand je sais qu’elle habite un champ que je parcours
Elle a beau se cacher, je la trouve toujours.
Et s’il est ici-bas des hommes que j’évite,
Des fous dont le discours maussade et parasite
Aux ailes de mon ame est une lourde glu,
Il en est, Dieu merci, d’autres dont le salut
M’est cher et gracieux, et la parole douce
Comme la fraîche odeur d’une plante qui pousse ;
Et tu peux désormais, ô mon jeune voisin !
Te compter dans ce nombre, et me donner la main.

Voici bientôt un an que j’ai vu ton visage
Pour la première fois : selon mon vieil usage,
J’étais cette nuit-là descendu dans le champ
Voir si toutes mes fleurs dormaient profondément
Au lieu de converser avec la lune oisive,
Ce qui, pendant l’été, malgré moi, leur arrive,
Et souvent me les tue ou leur flétrit le teint.