Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/459

Cette page a été validée par deux contributeurs.
451
DOCTOR MARGARITUS.

Jamais, après la faute, un écolier malin
N’a tremblé sur son banc, voyant venir le maître,
Comme tremblent les fleurs de ce petit jardin
Quand le pâle docteur se lève à sa fenêtre ;
Car il est leur soleil, et d’un signe de main
Il peut faire mourir celle qui vient de naître.

Cet homme aime ses fleurs d’un amour sans pareil ;
Et les arroserait du pur sang de sa veine
Pour donner à leur robe un éclat plus vermeil,
S’il ne savait fort bien que l’eau de la fontaine
Forme dans leur calice une perle sereine,
Plus douce et plus suave aux rayons du soleil.

Les femmes ont nommé cet amour-là délire,
Et vraiment, sur ma foi, les femmes ont raison ;
Cet homme vit tout seul au fond de sa maison
Avec de belles fleurs qu’il aime et qu’il respire ;
Il tient libre chacun de son opinion,
Et se croit pour sa part en droit de ne rien dire.

On le voit sur le soir aller on ne sait où,
Il ne prend pas son eau dans la source commune,
Nul ne sait les secrets enfin de sa fortune,
Ni ceux qu’en inclinant la tige de son cou
La belle fleur lui dit aux rayons de la lune :
Lecteur, tu le vois bien, cet homme est un vieux fou.

Il est alerte et vif, et c’est vraiment prodige
De le voir dans son pré courir pieds nus ; — la tige
Qui demeure éveillée et s’entretient tout bas
Avec l’insecte d’or qui rayonne et voltige,
Ne l’entend point venir près d’elle, et sous ses pas
Le brin d’herbe endormi ne se réveille pas.