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DES ARTS EN HOLLANDE.

un jet de lumière sur une pièce d’étoffe ; quelle aisance, et comme on voit que la main de l’artiste obéit à sa pensée sans tâtonnemens, sans essai, à coup certain ! De près le mécanisme du travail est à découvert. Ce sont des tons crus et pâteux, jetés à leur place avec assurance et liés entre eux par des glacis superposés qui fondent les ombres avec les lumières. À six pas c’est la nature elle-même ; une chaleur et une harmonie d’ensemble que nul peintre, si grand coloriste qu’il soit, excepté peut-être Rubens et Véronèse, n’a jamais rencontré. Il est constant cependant que Rembrandt n’avait pas, comme on dit, le travail facile. Il existe tel de ses portraits dont il a refait quatre et cinq fois la tête ; mais ce qui devait rester, il le faisait d’un seul trait.

C’est surtout le tableau de la Ronde de nuit qu’il faut étudier pour voir le maître aux prises avec toutes les difficultés de son art, mais aussi pour le saluer dans toute la magie de son triomphe. Ici il s’est abandonné à la fougue de son imagination ; les plus riches tons de la palette sont épuisés ; les lumières et les ombres semblent tournoyer et se combattre sur toutes les parties de la toile ; l’œil ébloui ne sait où se prendre parmi cette sublime confusion. On ne se rend raison de rien, mais on est subjugué. Il n’y a point encore ici de sujet proprement dit ; toute l’action réside dans le coloris. C’est un miraculeux chaos dans lequel l’esprit aime à s’égarer. Les critiques ne sont pas même d’accord si ce cadre représente un effet de jour ou de nuit. La version la plus vraisemblable est celle-ci. Rembrandt aurait voulu peindre le chevalier Kok, seigneur de Purmerland et d’Ilpendam, qui sort de sa maison ou peut-être de l’hôtel-de-ville, pour aller tirer aux buttes ; ses officiers et ses arquebusiers l’accompagnent ; un d’eux est en train de charger son arme. Sur le second plan passe une petite figure de femme vêtue fantastiquement comme une reine du pays des fées, laquelle porte à sa ceinture un coq blanc qu’on suppose être le but ou bien le prix des tireurs ; ce qui confirme encore cette hypothèse, c’est que l’un des arquebusiers a sur son casque une couronne de chêne ; on sait que c’était l’usage, parmi les confréries de ce genre, de couronner de chêne le vainqueur.

Les analyseurs, dont le métier consiste à appliquer l’équerre et le compas aux œuvres d’art, ne manquent pas de critiquer cette