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ÉRASME.

Luther, avait gémi de ses violences, et avait démenti dans ses lettres le bruit qui courait qu’il n’était pas étranger à la partie injurieuse de l’écrit de Luther. Après la réponse qu’y fit Érasme : « Vois-tu, lui disait Luther triomphant, ton Érasme et sa modération si vantée ! C’est un serpent ! » Le vent soufflait pour Luther. Cet homme faisait sortir les vieillards de la gravité de leur âge ; cet homme amenait les mourans à démentir la dignité de leur vie passée ; cet homme forçait la modération à rougir d’elle-même ; évidemment la fortune était de son côté.

Il y eut encore, jusqu’en 1534, deux ans avant la mort d’Érasme, quelques écrits de ce ton échangés entre ces deux hommes illustres. Au reste, Érasme n’avait pas à répondre qu’à Luther. Ses dernières années furent assaillies d’ennemis ; toutes les presses de Froben étaient employées à ses apologies. La Sorbonne, les théologiens, les casuistes, les violens des deux partis, les Stunica, les Béda, les Carpi (ce dernier était prince), noms que la violence n’a pas immortalisés, le trouvèrent armé jusqu’à la fin contre toutes leurs diatribes. Le premier malheureux sachant griffonner quelques injures et balbutier la logomachie théologique se donnait la gloire de troubler les dernières heures de l’illustre vieillard, sauf à se faire marquer au front de sa main mourante. Tout le monde se croyait intéressé à le compromettre ; tout le monde se disputait les lambeaux de cette déconsidération où l’avait précipité Luther dans les matières de religion. Mais ce qui lui restait de modération dans le fond, ou, pour mieux dire, d’indépendance religieuse, irritait surtout ses innombrables ennemis ; c’est à en faire la conquête, c’est à l’arracher de sa position intermédiaire entre les deux partis, représentés alors par leurs têtes folles et leurs hommes d’action, que travaillaient tous les esprits violens, fatigués de ses immuables réserves, et voulant débarrasser le sol de la réforme des rétrogrades de la paix et de la philosophie chrétienne. On avait obtenu de lui qu’il hurlât avec les hurleurs ; on l’avait compromis dans la forme, on voulait encore le compromettre dans le fond, et lui arracher un testament de mort qui pût servir de torche aux catholiques pour allumer leurs bûchers, ou aux protestans de mandat d’expropriation pour dépouiller la vieille église. Érasme tint bon. Ce qu’il avait hurlé, après tout,