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il est très difficile, que dis-je ! impossible d’en avoir, à moins d’un don particulier de l’Esprit.

« Crois donc ou ne crois pas, il suffit que le Christ m’en soit témoin, que je te plains du fond du cœur, de ce que tant de haines et de passions de gens si considérables soient soulevées contre toi. Que tu n’en sois pas ému, je ne le crois pas ; c’est un fardeau au-dessus de ta vertu. Il faut dire aussi qu’ils n’ont peut-être pas tort de se piquer des provocations indignes qui leur sont venues de toi. Je te l’avouerai franchement, il y a des hommes qui n’ont pas la force de supporter ton amertume et cette dissimulation que tu veux qu’on traite de modération et de prudence ; ils ont bien lieu de s’indigner ; ils ne s’indigneraient pas pourtant s’ils avaient plus de force d’ame. Moi-même, qui suis irritable, encore que je me sois laissé emporter jusqu’à écrire d’un style trop amer, ce n’a jamais été que contre les entêtés et les indomptables. Du reste, j’ai toujours été clément et doux envers les pécheurs et les impies, quelles que fussent leur folie et leur injustice ; c’est un fait dont ma conscience me rend témoignage, et dont l’expérience de plusieurs pourrait faire foi. Et non-seulement j’ai arrêté ma plume, alors que tu ne m’épargnais pas tes piqûres ; mais j’ai écrit dans des lettres à des amis, lesquelles ont dû t’être lues, que je continuerais à m’abstenir jusqu’à ce que tu descendisses en champ clos. Car s’il est vrai que tu ne partages pas mon sentiment, et si, par impiété ou par dissimulation, tu condamnes ou laisses en suspens certains points de doctrine, je ne puis ni veux croire que ce soit par entêtement. Mais que faire ? Des deux côtés la chose s’est singulièrement envenimée. Pour moi, s’il m’était permis d’être médiateur, je conseillerais à ceux-ci de ne plus t’attaquer avec autant de force, et de laisser ta vieillesse s’endormir dans la paix du Seigneur ; et certes, c’est ce qu’ils ne manqueraient pas de faire, à mon sens, s’ils avaient égard à ta faiblesse d’esprit, et s’ils appréciaient la grandeur de la cause, laquelle a depuis long-temps dépassé ta mesure.

À présent surtout que la chose en est venue à ce point qu’il y aurait fort peu de péril pour nos opinions à être attaquées par toutes les forces réunies d’Érasme, bien loin qu’il y puisse nuire par ses pointes et ses coups de dents, tu devrais, mon cher Érasme, songer à la faiblesse de ces armes, et t’abstenir de ces figures de rhétorique si âcres et si salées ; et si tu ne peux ni n’oses tout-à-fait te ranger à notre croyance, tu devrais ne t’en point mêler, et te borner à ce qui te concerne. S’il est vrai que ceux-ci, comme tu t’en plains, supportent mal tes morsures, ils en ont bien quelque cause, à savoir cette faiblesse humaine qui