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rasme, n’avaient pas rendu meilleure celle des moines et des théologastres, soulevés depuis trente ans contre lui. D’autre part, les emportemens des réformateurs n’avaient pas rendu plus sacrés les abus du catholicisme romain, et il fallait bien qu’Érasme, devenu l’adversaire de Luther, se souvînt de l’auteur médiocrement catholique des Colloques. Au lieu donc d’entrer pleinement dans la querelle par le côté vif et saignant, Érasme, après avoir au préalable demandé au pape la permission de lire officiellement les livres de Luther, prit une question incidente, louvoya, éluda l’attaque de front, alla se colleter avec un livre égaré de Luther, au lieu d’en venir aux mains avec l’homme, et, pour tout dire, fit un contre-traité sur le Libre arbitre, en réponse à un traité où Luther, chose étrange ! Luther, l’homme nouveau, l’avait nié.

Cependant, telle était la grandeur du nom d’Érasme, que la nouvelle qu’il allait prendre la plume contre Luther fit presque plus de bruit en Europe que les préparatifs de la bataille de Pavie. Il envoya le plan de son traité au roi d’Angleterre, Henri viii, grand casuiste catholique, avant qu’il fût tueur de femmes et que, pour faire d’une de ses maîtresses une épouse d’un an, il se brouillât avec le pape et remplaçât la messe par le prêche. À cette époque, les choses avaient tellement changé, et les affaires de Luther si bien prospéré, qu’Érasme ne put pas faire imprimer son traité chez ce même Froben qu’il avait, quatre ans auparavant, menacé de sa disgrace s’il imprimait les écrits de Luther. Les esprits, dans toute l’Allemagne, étaient si montés pour la réforme, qu’aucun libraire des villes du Rhin n’eût osé publier une apologie catholique, et qu’il pouvait y avoir danger de vie pour l’auteur qui eût osé l’écrire. Je remarque cela pour qu’on ne se hâte pas trop d’attribuer au manque de courage la demi-opposition qu’Érasme allait faire contre Luther. Cette opposition était tout-à-fait dans la mesure de ses convictions, et le courage qu’il y mit était proportionné avec le risque qu’il voulait courir. Je le répète, il n’eut que le tort de faire une démarche inutile, et de ne pouvoir honnêtement, noblement, faire plus ni mieux. Il eut peut-être aussi le tort de n’avoir pas la force surhumaine de résister aux mille influences qui l’y poussaient. Mais qui est-ce qui oserait exiger de l’homme ce