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ÉRASME.

soit corrompue par la colère et la gloire, par cette dernière surtout qui vient nous tendre des embûches jusque dans nos études de piété. Ce n’est pas là une conduite que je te recommande ; je ne puis que t’engager à continuer comme tu as déjà fait.

« J’ai goûté tes commentaires sur les psaumes : ils me plaisent fort. J’espère qu’ils auront de beaux fruits. Il y a à Anvers le prieur du monastère, homme vraiment chrétien, qui t’aime passionnément, autrefois ton disciple, comme il s’en fait gloire. Il est presque le seul qui professe le Christ ; les autres ne professent à très peu près que des superstitions ou leurs intérêts. J’ai écrit à Mélanchton. Puisse notre seigneur te dispenser chaque jour plus largement son esprit, tant pour sa gloire que pour le bien public ! En t’écrivant cette lettre, je n’avais pas la tienne sous la main. Adieu.

« Érasme. »

Louvain, 30 mai 1519.


Dans une lettre écrite à la même date[1] et adressée à un ami, il revient sur ces nobles pensées de charité et de tolérance. « Vous avez trop de prudence, dit-il à Jodocus Jonas, pour qu’il soit besoin de vous apprendre qu’une image aimable de la vraie piété, rendue avec toute l’expression possible, est bien plus propre à faire entrer dans les ames la philosophie du Christ, que des harangues essoufflées contre toutes les formes et les genres de vices… Le zèle religieux doit avoir la parole libre, mais assaisonnée çà et là du miel de la charité. En tout cas, il faut ménager ceux qui possèdent l’autorité souveraine, et si la chose mérite qu’on s’irrite, mieux vaut s’irriter contre les hommes qui font servir à leurs passions la puissance des princes, que contre les princes eux-mêmes… On rend plus de services à montrer combien s’éloignent de la vraie religion ceux qui, sous l’enseigne de Benoît, de François, ou d’Augustin, vivent pour leur ventre, leur bouche, leur luxure, leur ambition, leur cupidité, qu’à déclamer contre l’institution même de la vie monastique. Et quant aux écoles publiques de scolastique, on emploie mieux son temps à indiquer ce qu’on pourrait en retrancher ou y ajouter, qu’à les

  1. Jodoco Jonæ, 448. A. C. D.