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que d’ailleurs je n’approuvais ni ne désapprouvais rien. Je leur ai seulement dit de s’abstenir de vociférer avec tant de haine devant le peuple, que c’était de leur intérêt, comme de gens dont le jugement devait avoir le plus de gravité ; qu’en outre ils voulussent bien réfléchir s’il convenait d’agiter devant un peuple tumultueux des matières qui seraient mieux réfutées dans des livres imprimés, ou mieux débattues entre érudits, là où l’auteur pouvait de la même bouche faire connaître ses opinions et sa vie. Je n’ai rien gagné par ces conseils, tant ils sont fous avec leurs discussions obliques et scandaleuses.

« Combien de fois eux et moi n’avons-nous pas traité de la paix, et combien de fois sur une ombre de soupçon téméraire n’ont-ils pas soulevé de nouveaux tumultes ? Et ce sont les auteurs de tant bruit qui se regardent comme des théologiens ! La cour de Brabant déteste cette espèce d’hommes ; c’est encore un crime qu’ils me font. Les évêques me sont assez favorables, mais ils ne se fient pas à mes livres. Les théologiens mettent toutes leurs espérances de victoire dans la calomnie ; mais je les méprise, fort de ma droiture et de ma conscience. On les a quelque peu adoucis pour toi. Peut-être, n’ayant pas la conscience très nette, redoutent-ils la plume des gens instruits ; pour moi, je les peindrais au naturel, et avec les couleurs qu’ils méritent, si je n’en étais détourné par les doctrines et les exemples du Christ. Les bêtes féroces s’adoucissent par de bons traitemens, mais les procédés ne font que rendre plus furieux ces théologiens.

« Tu as en Angleterre des amis qui ont la meilleure opinion de tes écrits ; ils y sont puissans. Plusieurs ici ont du penchant pour toi, entre autres un personnage de marque. Pour moi, je me tiens en dehors autant que faire se peut, afin de me garder tout entier au service des belles-lettres qui refleurissent. Il me paraît qu’on gagne plus par la modération et les formes que par la passion. C’est par là que le Christ a conquis l’univers ; c’est par là que saint Paul a abrogé la loi judaïque en tirant tout à l’allégorie. Il vaut bien mieux écrire contre ceux qui abusent de l’autorité des papes que contre les papes eux-mêmes ; ainsi pour les rois, à mon sens. Il faut moins mépriser les écoles que les ramener à des études plus saines. Quant aux choses trop profondément plantées dans les esprits pour qu’on puisse les en arracher soudainement, mieux vaut en disputer par des argumens serrés que rien affirmer absolument. Il est telle objection violente qu’on fait mieux de mépriser que de réfuter. Prenons garde en tous lieux de ne rien dire ni faire d’arrogant ou de factieux : je pense que cela est conforme à l’esprit du Christ. En attendant, il faut garder son ame, de peur qu’elle ne