Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/390

Cette page a été validée par deux contributeurs.
382
REVUE DES DEUX MONDES.

et dans leur opulente ignorance de la religion même qu’ils exploitaient ; le mouvement littéraire les forçait à sortir de leur paresse, à prendre part aux nouvelles lumières, à renouveler laborieusement, par la supériorité de l’esprit et de l’instruction, le pouvoir, de plus en plus menacé, qu’ils tenaient de l’aveugle consentement des peuples. Attaqués dans leur double privilége, surveillés tout à la fois dans leur religion de patenôtres et dans leur ignorance d’état, partout où se montrait un livre inspiré par les nouvelles idées, ils l’exorcisaient ou le faisaient brûler. C’est ainsi qu’un des pères de la philologie moderne, dans l’Europe occidentale, Jean Reuchlin, après un long professorat, duquel étaient sortis plusieurs générations de philologues, avait eu à défendre la tranquillité de ses derniers jours contre les haines des théologiens de Cologne. Reuchlin, Érasme et Luther étaient confondus dans une inimitié commune ; ces trois noms, entourés d’injures, fournissaient la matière de tous les sermons ; c’était le même démon sous trois formes.

Mais les moines en voulaient surtout à Érasme et à Luther, et au premier plus qu’au second, apparemment parce qu’il était à la fois lettré et docteur. Les universités, foyers de toutes ces haines, où se perpétuait l’ignorance bavarde et intolérante de la scolastique, poursuivaient ces deux hommes de leurs bulles et de leurs cris. Les ordres de tous les noms, franciscains, dominicains, prêcheurs, mendians, bi-canoniques, lâchaient contre eux tous leurs prédicateurs. Les chaires retentissaient de bouffonneries haineuses, auxquelles le peuple applaudissait, et chaque sermon se terminait par une lacération publique d’un de leurs livres, à défaut de l’auteur. La Belgique surtout, ce pays de passage où une seule chose a pu prendre racine, la superstition, la Belgique toute entière était soulevée par les harangueurs de Louvain, de Tournai, de Bruges, d’Anvers. C’était tantôt un dominicain, tantôt un frère mineur, affligé d’une lippitude précoce, par suite d’excès de vin, lequel déclamait pendant plusieurs heures contre les deux ennemis de l’église, Érasme et Luther, les appelant tour à tour bêtes, ânes, grues, souches, hérétiques[1] ; hérétiques sur-

  1. Lettres, 580. B. C.