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REVUE. — CHRONIQUE.

d’hommes aveugles ou méchans, composée à la fois d’ames honnêtes qui voient d’avance cesser toute agitation dans le pays le jour où le pouvoir y sera maître de tout, et d’esprits pervers, de mesquines ambitions, qui espèrent vivre largement dans le gaspillage et le désordre, à l’ombre du régime absolu ; vieux royalistes, ultras incorrigibles, anciens terroristes convertis, restes abâtardis de l’empire, ou vils ministériels à gages. Sans doute un gouvernement de majorité ne peut se soustraire complètement aux influences des majorités, même quand elles sont dominées par d’étroites passions ; mais une feuille que le ministère, et M. Guizot particulièrement, ne renieront pas, disait encore hier avec raison : « La plus pitoyable chose est un gouvernement qui ne donne pas l’impulsion à la société. »

Vous convient-il en ce moment de recevoir cette impulsion au lieu de la donner, soit qu’elle flatte vos propres passions, qu’elle satisfasse vos ambitions personnelles, ou qu’il vous semble commode de vous abandonner au courant qui vous entraîne ? Alors que le ministère défère aux invitations qui leur arrivent de toutes parts, et que le trône obéisse humblement aux fantaisies de cette foule qui, troublée par un crime affreux, fait pour décontenancer dans leurs principes, même les esprits élevés, vient aujourd’hui sommer le roi de changer de couronne. Il est certain, en effet, qu’un grand nombre de pétitions a été adressé au roi depuis deux jours, pour l’engager à réunir en lui tous les pouvoirs de la Charte. Dans une de ces pétitions collectives, sur laquelle nous avons eu l’occasion de jeter les yeux, on cite l’exemple des états de Suède, qui jadis étaient venus déposer leurs privilèges au pied du roi, et l’avaient supplié de gouverner seul et sans concours. Voyez-vous quels grands politiques se sont formés à la Bourse, de notre temps ! La France d’aujourd’hui, assimilée à la Suède de la fin du dernier siècle ; la chambre des pairs et la chambre des députés comparées à l’ordre des chevaliers et à celui des paysans ! Assurément, l’exemple est irrésistible, et après cela, il ne nous reste plus qu’à courber la tête sous un autocrate français !

Nous ne craignons pas qu’une telle pensée s’empare de l’esprit droit et prudent qui occupe le trône aujourd’hui. Contre qui donc veut-on armer le roi, ou plutôt le pouvoir ? Contre d’infâmes assassins que la société maudit tout entière ? Mais c’est alors que la vie du roi serait en danger, et que la mort d’un roi assassiné, tout affreuse qu’elle soit dans tous les temps, serait aussi la mort de la société et la ruine de l’ordre social. Eh quoi ! vous avez détruit la légitimité, et sans la rétablir, sans pouvoir la refaire, vous voudriez exposer un successeur de roi à se trouver seul devant le peuple et les partis, sans constitution, sans chambre élective, sans