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REVUE. — CHRONIQUE.

Cette proclamation, qui couvrait les murs de Paris et qui paraissait dans le Moniteur le lendemain de l’abominable assassinat dont toute la France est encore occupée, semblait renfermer une menace tout auprès de l’expression d’une noble douleur. Au moment de l’attentat, et dans les heures qui le suivirent, la manifestation de la pensée royale fut pleine de dignité, et, il faut se faire un devoir de le déclarer, de grandeur et de sagesse. Le roi avait vu tomber à côté de lui un vieil ami, comme il dit avec simplicité et franchise dans sa proclamation ; ses plus fidèles serviteurs avaient été frappés, mutilés autour de sa personne ; il avait tremblé, sinon pour lui-même, du moins pour ses enfans, dont la tête avait été menacée de bien près par les balles ; et cependant sa voix avait calmé les cris de haine et de ressentiment, et il avait imposé la modération à la force brutale qui demandait une aveugle vengeance. De retour dans son palais, le roi s’est encore montré le même. Le prince royal partageait tous les sentimens de son père. Justice et non vengeance était leur mot. Ils répondaient à ceux que leur zèle égarait, et qui s’en prenaient à la liberté du crime qui venait de se commettre, que ce n’était pas un évènement qu’on devait exploiter au profit d’un pouvoir assez fort par lui-même et par le dévouement qu’on lui montrait. On pourrait peut-être sortir de la Charte avec l’approbation de l’opinion, ajoutait le duc d’Orléans ; mais plus tard il serait difficile d’y rentrer ; et en dehors de la Charte, il n’y a que dangers pour le roi et pour le pays.

Malheureusement, ce n’est pas là ce que pensent les ministres. Le ministère actuel, tel qu’il est composé, ne saurait admettre cette politique droite et simple, et par cela même profonde et sûre. Nos ministres sont des hommes habiles, mais qui prétendent surtout se surpasser les uns les autres en habileté. Pris isolément, il se pourrait qu’on obtînt de chacun d’eux l’aveu qu’en pareil cas la constitution se trouve suffisante, et que la Charte de 1830, avec toutes ses libertés, donne mille fois les moyens de triompher de ses ennemis, soit qu’ils se présentent dans l’arène légale, soit qu’ils s’arment des dernières et des plus criminelles ressources que fournisse l’esprit de parti. Ils avoueraient aussi sans doute que le détestable crime qui a été commis, a fait éclater une indignation trop vive, même dans les rangs le plus opposés à ce régime, pour qu’une réaction soit juste ou nécessaire. Cette réaction aura lieu cependant de la part du ministère, tout semble le faire présager ; car réunis, pris en masse, occupés de se dépasser en vigueur et en énergie, de se montrer plus grands hommes d’état les uns que les autres, plus fermement assis sur d’inflexibles théories, on les entend dire qu’en politique tout doit être exploité au profit de l’autorité qui commande, qu’un ministère adroit se fait un marche-