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grets et leurs insatiables étreintes ? où est la théorie du sage ? où est le chant du poète ? Hélas ! tout cela n’est plus que fantômes qui n’ont même pas de robe par où on les puisse saisir ; ce n’est plus que lampes mourantes dont la lueur n’éclaire rien. Ce sont des urnes où il n’y a plus de cendres, des vases lacrymatoires où il n’y a plus de larmes. »

Sa sympathie pour les ruines s’exprimera bientôt plus vive et plus mélancolique. Écoutez-le déplorer l’usurpation universelle de l’industrie :

« Le chant du pibroch n’est plus d’accord ; il se tait. Le casque romain est avili ; ce n’est plus qu’un vain joujou dont on amuse un enfant gâté. Le bouclier se rouille aux murs humides des salles antiques ; cependant le bateau à vapeur, tout obscurci de fumée, s’élance à la poursuite de ses rivaux de vitesse, poursuivi lui-même par d’autres rivaux. Le parapluie se déploie pour abriter la tête du pâtre celtique. Oh ! tout nous dit que les vieilles coutumes se pourrissent jusqu’en leurs racines. L’honneur, les passions d’autrefois, tout cela tombe en poussière ! Glorifiez-vous, pourtant, je le veux, des conquêtes de votre civilisation ; mais nous, ne pourrons-nous pas demander si l’imagination survit à ces immenses changemens, — si la vertu y gagne quelque chose ? — Car autrement, ô mortels ! ne vaudrait-il pas mieux cesser de vivre ? »

Vous aurez beau renouveler l’univers, dit-il, il vous faudra toujours revenir puiser aux archives de la tradition :

« C’est dans cette antique clairière que les amans se prirent leur dernier baiser. Ce fut au bord de ce ruisseau de cristal que l’ermite vit l’ange ouvrir ses ailes pour s’envoler. Le sage se tenait longuement assis en ce cabinet ; le barde chantait errant sur cette colline où l’on n’entend plus que la voix de la linotte. Ainsi, partout, la tradition se mêle à la vérité, partout l’imagination divinise et consacre les êtres et les lieux que nous aimons. N’y eût-il que l’histoire qui eût droit de garder note des choses passées, ses maigres registres suffiraient mal aux évènemens et aux personnages évanouis. Mais il est pour l’homme une plus large page à consulter ; il est un livre plus facile à lire, plus intéressant et mieux rempli : c’est celui-là qui s’étudie dans le palais comme dans la chaumière. »

Quel admirable sentiment de l’art antique dans le sonnet suivant qui montre en même temps toute la sainte transfiguration de l’art moderne !

« Tranquillité ! tu étais le but souverain dans les écoles païennes de la science philosophique ! Esclave soumise du fatal destin, la muse de la tragédie t’avait voué son culte pensif ; la sculpture s’était emparée