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libéral et plus candide, sa valeur et sa renommée n’y eussent point perdu. S’il se fût rafraîchi lui-même à plus de sources littéraires, le monde fût venu plus volontiers s’abreuver à sa poésie. À le voir condamner moins dédaigneusement les ouvrages des autres, on eût reçu les siens plus favorablement ; on les eût traités avec plus de bienveillance. Le courant de sa pensée est profond, mais étroit. Il met tant de puissance, de vérité et d’originalité, à de certaines idées, qu’il ne lui en reste plus pour les autres. Qui sait ? peut-être est-ce l’enthousiasme et la simplicité de son admiration pour la nature qui le rendent intolérant et aveugle dans ses jugemens sur tout ce qui n’est pas elle seulement. Il en est de lui comme de bien d’autres ; c’est sa faiblesse même qui fait sa force, et nous n’avons pas droit de nous en plaindre. Laissons là l’égotiste ; le grand écrivain nous reste. Sachons découvrir et dégager le beau partout où Dieu l’a mis pour nous. Une riche veine de poésie originale n’est pas un des moins précieux trésors dont il nous ait dotés. Que nous importe l’argile grossière qui enveloppait le filon d’or ? Serons-nous follement désappointés parce que nous n’avons pas trouvé ici-bas la perfection ? Non certes, car nous ne l’avions pas même espérée. Nous n’avons pas cette adoration naïve qui déifie dans le poète plus que le poète. S’il a le vrai génie, qu’y a-t-il donc à lui demander encore ? Mais nous avons effleuré une corde qui détonne ; nous ne la toucherons pas davantage.

On a appelé lord Byron l’enfant gâté de la fortune ; on pourrait dire que Wordsworth est l’enfant gâté du désappointement. Nous sommes convaincus que s’il eût été de bonne heure un poète populaire, il eût montré de l’humilité dans sa gloire, et qu’il fût demeuré l’homme simple et plein de bonhomie que l’avait fait la nature. Mais le sentiment d’une critique injuste et d’un ridicule immérité aigrit le caractère et rétrécit les vues. Avoir produit des œuvres de génie et les voir négligées ou traitées avec dédain, c’est une trop rude épreuve pour la patience humaine. C’est assez qu’on nous conteste nos mérites pour que nous nous les exagérions nous-mêmes. Nous allons plus loin. Il nous plaît alors de rabattre les louanges décernées à ceux auxquels nous nous sentons supérieurs. Ce n’est pas notre faute. Nous n’avons pris les armes que pour notre défense ; nous n’eussions pas attaqué le monde s’il ne nous eût attaqués d’abord. Que ne ménageait-il mieux notre fierté ! Nous ressentirons long-temps l’offense ! — Et c’est ainsi que l’ame qui eût coulé paisible et riante se courrouce et se révolte, et qu’elle se rue sur la digue qu’on lui oppose ; nous n’eussions été qu’indulgence et humilité, et voici que la colère et l’amour-propre nous