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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

recueille la manne dans le désert ; il frappe le rocher de sa baguette et en fait jaillir la source. À son souffle, le brin de paille qui gisait dans la poussière monte au soleil dans un rayon lumineux ; il puisera dans ses souvenirs assez de grandeur et de beauté pour en revêtir le tronc nu du vieux saule. Son vers ne s’embaume point du parfum des bosquets, mais son imagination prête une joie intime aux arbres dépouillés sur la montagne dépouillée, à l’herbe verte du pré vert :


To the bare trees and mountains bare.
And grass in the green field.


Plus de tempête, ni de naufrage, dont l’horreur nous épouvante. C’est l’arc-en-ciel qui attache aux nuages son ruban diapré. C’est la brise qui soupire dans la fougère fanée. Point de triste vicissitude du sort, point de menaçante catastrophe de la nature qui assombrisse ses pages. C’est la goutte de rosée qui se suspend aux cils de la fleur penchée ; ce sont les pleurs qui s’amassent dans l’œil brillant.

Comme l’alouette sort des blés où est son nid, et voltige, en rasant le sol, pour aller saluer le ciel du matin, ainsi la muse champêtre de Wordsworth s’en va planant sur les sommets de la réflexion, sans s’éloigner pourtant de la terre, son marche-pied et sa patrie.

Il ne serait pas impossible que ce système de rénovation n’eût été en partie inspiré à Wordsworth par le désappointement d’une ambition trompée. Peut-être son indolence et son orgueil naturel l’auront-ils empêché de gravir les degrés de la science ou des honneurs ; peut-être, instruit par ses opinions politiques à dire aux vaines pompes du monde : Je vous hais ; voyant la route de la poésie classique et artificielle encombrée de tout le monceau du beau style et des lieux communs superbes, et désespérant d’y faire un pas, à moins de renchérir servilement sur ses devanciers de ridicule enflure, peut être aura-t-il fait volte-face, un peu par impatience et paresse, un peu par sagesse et calcul. Ce sera alors qu’il se sera enfermé dans le vallon de la vie cachée, et qu’il aura cherché la muse aux flancs de la montagne, parmi les pâtres et les troupeaux, et sous le chaume du paysan. Ce sera alors que, laissant le fastueux clinquant poétique, il aura tenté d’agrandir le trivial et de donner aux choses familières le charme de la nouveauté. Certes, son succès n’a pas été médiocre. Nul n’avait jamais si ingénieusement rendu des riens importans ; nul n’avait si éloquemment traduit les plus simples sentimens du cœur.

M. Wordsworth est timide et réservé, non pas pourtant sans fierté.