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vement révolutionnaire de ce siècle qui l’emporte avec lui ; les changemens politiques du jour ont été les modèles qui ont inspiré les essais du novateur littéraire. Sa muse s’est mise du côté des niveleurs, on ne peut le nier ; autrement elle serait inexplicable ; elle procède d’un principe d’égalité, et s’efforce de tout réduire à des dimensions pareilles. C’est une orgueilleuse humilité qui la distingue. Elle n’a foi que dans les ressources qu’elle tire d’elle-même, et dédaigne le secours des ornemens étrangers. Les évènemens et les objets les plus communs sont justement ceux qu’elle choisit, comme pour prouver que la nature intéresse toujours assez par sa beauté inhérente et vraie, et qu’elle n’a nul besoin d’être parée de vêtemens somptueux ; de là ce mélange singulier d’apparente simplicité et de profondeur réelle dans les Ballades lyriques, — Lyrical Ballads. Elles ont fait rire les sots ; les sages les ont à peine comprises. Un sujet, une histoire, ne sont pour Wordsworth que des clous, des chevilles, auxquels il attache le sentiment et la pensée. Les incidens sont frivoles en proportion de son mépris pour les apparences imposantes ; les réflexions sont profondes en proportion de la gravité et des hautes aspirations de son esprit.

Son style populaire et sans artifice s’est débarrassé d’une fois de toutes les friperies usées de la vieille versification. Les tours couronnées de nuages, les temples solennels, les palais majestueux, tout cela a été balayé du sol. Ç’a été comme l’édifice sans fondemens d’une vision ; il n’est pas même resté un débris de ruines. Toutes les traditions du savoir, toutes les superstitions du passé, ont disparu sous un trait de plume. Nous avons fait table rase ; nous recommençons toute poésie. Le manteau de pourpre, le panache ondoyant de la tragédie, sont rejetés ainsi que de vains oripeaux de pantomime. Voici que nous en sommes revenus à la simple vérité de la nature. Rois, reines, nobles, prêtres, trône, autel, distinction des rangs, naissance, richesse, pouvoir, ne cherchez plus rien de tout cela, ni la robe du juge, ni le bâton du maréchal, ni le faste des grands. L’auteur foule aux pieds plus fièrement encore l’antique forme dont s’enorgueillissait l’art ; il se rit de l’ode, de l’épode, de la strophe et de l’antistrophe. Vous n’entendrez plus résonner la harpe d’Homère, ni retentir la trompette de Pindare et d’Alcée. Point de merci pour le costume éclatant, pour la décoration splendide. Tout cela n’est que spectacle vide, barbare, gothique. Les diamans parmi les cheveux tressés, le diadème sur le front brillant de la beauté, ne sont que parure vulgaire, joyaux de théâtre et de prostituée. Le poète dédaigneux ne veut que plus des couronnes de fleurs ; il ne se prévaudra pas non plus des avantages que le hasard lui aura offerts ; il lui plaît que son sujet soit tout entier de son invention, afin de ne devoir rien qu’à lui-même ; il