Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
REVUE DES DEUX MONDES.

ment de politesses et de prévenances de M. Spada envers ces deux étrangers, que le matin même elle lui avait entendu maudire et traiter de chiens et d’idolâtres, semblait, au reste, une confirmation assez évidente de cette opinion. Mais si cette opinion flattait sa fantaisie, sa fierté naturelle et sa délicatesse se révoltaient contre l’espèce de marché dont elle se croyait l’objet ; et, craignant d’être complice d’une embûche dressée au musulman, elle s’enveloppait dans sa mante, et restait morne, silencieuse et froide, comme une statue, le plus loin de lui qu’il lui était possible.

Cependant Timothée, résolu à s’amuser le plus longtemps possible de cette comédie inventée et mise en jeu par son génie facétieux, car Abul n’avait pas plus songé à réclamer ses deux mille sequins pour acheter de la soie blanche, qu’il n’avait songé à trouver Mattea jolie ; Timothée, dis-je, semblable à un petit gnome ironique, prolongeait les émotions de M. Zacomo, en le jetant dans une perpétuelle alternative de crainte et d’espoir. Celui-ci le pressait de communiquer à Abul la proposition d’acheter la soie smyrniote de moitié avec lui, offrant de payer le tout comptant, et de ne rembourser à Abul les deux mille sequins qu’avec le bénéfice de l’affaire. Mais il n’osait pressentir le rôle que jouait Mattea dans cette négociation, car rien dans la contenance d’Abul ne trahissait une passion dont elle fût l’objet. Timothée retardait toujours cette proposition formelle d’association, en disant qu’Abul était sombre et intraitable, si on le dérangeait quand il était en train de fumer un certain tabac. Voulant voir jusqu’où irait la cupidité misérable du Vénitien, il le fit consentir à descendre sur la rive droite de la Zueca, et à s’asseoir avec sa fille et le Musulman sous la tente d’un café. Là, il commença un dialogue fort divertissant pour tout spectateur qui eût compris les deux langues qu’il parla tour à tour ; car tandis qu’il s’adressait à Zacomo pour établir avec lui les conditions du traité, il se tournait vers son maître et lui disait : « M. Spada me parle de la bonté que vous avez eue jusqu’ici de ne jamais user de vos billets à ordre, et d’avoir bien voulu attendre sa commodité ; il dit qu’on ne peut avoir affaire à un plus digne négociant que vous. — Dis-lui, répondait Abul, que je lui souhaite toutes sortes de prospérités, qu’il ne trouve jamais sur sa route une maison sans hospita-