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LA QUENOUILLE DE BARBERINE.


Scène V.

Au château. — Une chambre dans une tour.
Entre ROSEMBERG.

Personne, dieu merci, ne m’a vu. (Il ferme la porte.) Si j’en crois mon appétit, l’heure du dîner ne doit pas être loin, et je suis exact au rendez-vous. Ô fortune ! quelle bénédiction ! non, je ne m’y attendais pas. Cette fière comtesse, ce riche enjeu ! tout cela gagné en si peu de temps ! qu’il avait raison, ce cher Uladislas ! Je vais donc la voir, l’entendre me parler d’amour ! elle ! Barberine ! ô beauté ! elle est à moi ! ô joie ineffable ! elle dans mes bras, sur mon cœur ! sainte Vierge, je ne saurais demeurer en repos ; il faut que je guette à cette fenêtre.

(Il ouvre la fenêtre.)

Personne encore ! singulière chambre pour un rendez-vous amoureux : une fenêtre grillée et des murs tout nus ! c’est quelque ancienne prison seigneuriale ; Barberine l’aura choisie comme le lieu le plus reculé du château. Patience, la cloche sonne.

(Il s’asseoit.)

En vérité, c’est une grande misère que cette fragilité des femmes ; conquise en si peu de jours ! est-ce que je l’aime ? non, je ne l’aime pas. Fi donc ! trahir ainsi un mari si plein de droiture et de confiance ! céder au premier regard amoureux d’un inconnu ! que peut-on faire de cela ? une maîtresse agréable, un caprice pour passer le temps. J’ai autre chose à faire que de rester ici ; qui maintenant me résistera ? Déjà je me vois arrivant à la cour, et traversant d’un pas nonchalant les longues galeries ; les courtisans s’écartent en silence, les femmes chuchotent ; la riche cassette est sur la table, et la reine a le sourire à la bouche. Quel coup de filet, Rosemberg ! ce que c’est pourtant que la fortune ! Quand je pense à ce qui m’arrive, il me semble rêver. Non, il n’y a rien de tel que l’audace.

Il me semble que j’entends du bruit ; quelqu’un monte l’escalier ; on s’approche, on monte à petits pas. Ah ! comme mon cœur palpite ! (On entend au dehors le bruit de plusieurs verroux.) Qu’est-ce que cela veut dire ? je suis enfermé ; on verrouille la porte en dehors ; sans doute c’est quelque précaution de Barberine ; elle a peur que pendant le dîner quelque domestique n’entre ici ; elle aura envoyé sa camériste fermer sur moi la porte jusqu’à ce qu’elle puisse s’échapper.

Si elle allait ne pas venir ! s’il arrivait un obstacle imprévu ! Bon, elle me le ferait dire. Mais qui marche ainsi dans le corridor ? cette