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REVUE DES DEUX MONDES.

LE CHEVALIER.

On me prodigua des secours ; quant à moi, les yeux à demi fermés, je n’attendais que le moment où je serais seul avec le géant. Aussitôt, me jetant sur lui, je le saisis par la jambe droite, et le lançai dans la mer.

ROSEMBERG.

Je frissonne ; le cœur me bat.

LE CHEVALIER.

J’avoue que je courus quelque danger ; car, au bruit de sa chute, les soixante eunuques accoururent le sabre à la main ; mais j’avais eu le temps de me rejeter sur le lit, et paraissais profondément endormi. Loin de concevoir aucun soupçon, ils me laissèrent dans la chambre avec une des femmes de la princesse pour me veiller. Alors, tirant de mon sein une fiole et un poignard, j’ordonnai à cette femme de me suivre, dans le temps que les eunuques étaient tous à souper. Prenez ce breuvage, lui dis-je, et mêlez-le adroitement dans leur vin, sinon, je vous poignarde tout-à-l’heure. Elle m’obéit sans oser dire un mot, et bientôt les eunuques s’étant assoupis par l’effet du breuvage, je demeurai maître du château. Je m’en fus droit à l’appartement des femmes ; je les trouvai prêtes à se mettre au lit, mais ne voulant leur faire aucun mal, je me contentai de les enfermer dans leurs chambres, et d’en prendre sur moi les clés qui étaient au nombre de six vingt. Alors, toutes les difficultés étant levées, je me rendis chez la princesse ; à peine au seuil de sa porte, je mis un genou en terre : Reine de mon cœur, lui dis-je avec le ton du plus profond respect… mais pardonnez, seigneur étudiant, je suis forcé de m’arrêter, la modestie m’en fait un devoir.

ROSEMBERG.

Non ! je le vois, vous l’avez possédée ! Ah ! qu’il me tarde d’être à la cour ! Mais ces breuvages inconnus, ces mystérieux talismans, où les trouverai-je, seigneur chevalier ?

LE CHEVALIER.

Cela est difficile, cependant je vous ferai une confidence ; tenez, si vous avez de l’argent, c’est le meilleur talisman que vous puissiez trouver.

ROSEMBERG.

Dieu merci, je n’en manque pas ; mon père est le plus riche seigneur du pays. La veille de mon départ, il m’a donné une bonne somme, et ma tante Béatrice, qui pleurait, m’a aussi glissé dans la main une