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REVUE DES DEUX MONDES.

BARBERINE.

Je vous prie d’abord de m’écouter, et en second lieu de me faire une grace.

ULRIC.

Que veux-tu, mon ame ? Pardonne-moi : je ne sais ce que j’ai aujourd’hui.

BARBERINE.

Ni moi non plus, je ne sais ce que tu as ; et la grace que vous me ferez, Ulric, c’est de le dire à votre femme.

ULRIC.

Eh ! mon Dieu, non, je n’ai rien à te dire, aucun secret.

BARBERINE.

Je ne suis pas une Portia ; je ne me ferai pas une piqûre d’épingle pour te prouver que je suis courageuse. Mais tu n’es pas non plus un Brutus, et tu n’as pas envie de tuer notre bon roi Mathias Corvin. Écoute ; il n’y aura pas pour cela de grandes paroles, ni de sermons, ni même besoin de me mettre à genoux. Tu as du chagrin. Viens près de moi ; voici mes lèvres, c’est le vrai chemin de mon cœur, et le tien y viendra, si je l’appelle.

ULRIC.

Comme tu me le demandes naïvement, je te répondrai de même. Ton père n’était pas riche ; le mien l’était ; mais il a dissipé ses biens. Nous voilà tous deux, mariés bien jeunes, et nous possédons de grands titres, mais bien peu avec. Je me chagrine de n’avoir pas de quoi te rendre heureuse et riche, comme Dieu t’a rendue bonne et belle. Notre revenu est si médiocre ! et cependant je ne veux pas l’augmenter en laissant pâtir nos fermiers ; ils ne paieront jamais de mon vivant plus qu’ils ne payaient à mon père. Je pense à me mettre au service du roi, et à aller à la cour.

BARBERINE.

C’est en effet un bon parti à prendre ; le roi n’a jamais mal reçu un gentilhomme de mérite ; la fortune ne se fait point attendre auprès de lui, quand on te ressemble.

ULRIC.

C’est vrai ; mais si je pars, il faut que je te laisse ici, car pour quitter cette maison, où nous vivons à si grand’peine, il faut être sûr de pouvoir vivre ailleurs ; et je ne puis me décider à te laisser seule.

BARBERINE.

Pourquoi ?

ULRIC.

Tu demandes pourquoi ? Et que fais-tu donc maintenant ? Ne viens-