Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

des armes royales. Là, sur un fauteuil de cuir vert, siége le speaker en robe noire, en mitaines grises, gravement coiffé d’une immense perruque, dont les ailes abaissées lui tombent jusqu’à la ceinture.

À ses pieds est un étroit bureau où se tient le chef des greffiers, appuyant sur ses deux mains une large face qui sourit imperturbablement sous le fer à cheval de sa petite perruque à rouleaux.

Les banquettes où siégent les membres sont rangées carrément en étages, à droite, à gauche, et en face du speaker.

Il n’y a pas plus de chaire pour les orateurs que pour le président. On se tient où l’on veut, assis ou debout, le chapeau sur la tête. Chacun parle de la place où il est. On se découvre cependant pour parler. Ce n’est pas à l’assemblée, c’est au speaker qu’on est censé s’adresser ; aussi se tourne-t-on vers lui et dit-on sir, et non pas gentlemen.

J’aime chez les représentans du peuple ces allures sans façon et toutes bourgeoises. Cela montre bien que ces communes se réunissent pour faire les affaires du pays, et non pour jouer la comédie.

C’est à trois heures que le speaker entre dans la salle, précédé du chef des huissiers, la masse sur l’épaule, suivi du sergent d’armes, l’épée au côté, en habit noir à la française. Une fois au fauteuil, le speaker compte les membres présens. S’il y en a quarante, la séance est ouverte, quand le chapelain a récité les prières, que chacun écoute debout et découvert, regardant le dossier de sa banquette.

D’ordinaire, les premières heures ne s’emploient qu’en des travaux de médiocre importance. On discute des bills concernant les localités ou les intérêts privés. Les bancs commencent à se peupler de huit à neuf heures du soir. La chambre n’est guère en bon nombre avant minuit. C’est de minuit à deux heures du matin que se traitent en général les grandes questions qui aboutissent à un vote sérieux.

Les Anglais sont ainsi. Ils se défient outre mesure de la légèreté de leur esprit. Ils estimeraient dangereux de s’embarquer dans les affaires graves, si leur dîner ne les avait lestés suffisamment. Il faut qu’en buvant leur vin et leur grog, ils aient eu le loisir de méditer et de mûrir leurs opinions et leur éloquence.

Quand il n’était encore que M. Brougham (c’était son bon temps), lord Brougham ne venait jamais aux communes sans avoir vidé deux ou trois pleins flacons de porto. C’était au fond de son verre qu’il puisait alors le calme, la sagesse et la discrétion. Mais depuis qu’il est de la chambre des pairs, qui expédie toute la besogne de cinq à six heures, lord Brougham en est réduit à parler à jeun. C’est pourquoi maintenant