Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
299
ÉRASME.

et de commenter les sermons de Grégoire de Nazianze ; — Sadolet, l’évêque de Carpentras, cardinal, secrétaire du pape Léon x, homme d’un esprit délicat, d’une rare douceur, païen par son amour intelligent et tendre pour l’antiquité, chrétien convaincu et tolérant, un de ces cicéroniens qui disaient, comme le cardinal Bembo et Léon x, les dieux immortels, au lieu de Dieu tout court, et qui terminaient leurs lettres comme l’abbé de Saint-Bertin à Jean de Médicis : « Puissent les dieux rendre ta Florence grande et florissante ! » du reste, d’une modestie noble et forte, qui rappelle celle de Vivès, et qui lui inspirait ces belles paroles adressées à Érasme, en lui envoyant un commentaire sur un psaume : « Si vous trouvez à y reprendre, mon cher Érasme, ne craignez pas d’en agir avec moi franchement et librement ; et montrez-moi, surtout dans cette épreuve, cette foi de l’amitié, que je ne doute pas que vous n’ayez saintement gardée. » — C’était enfin Philippe Melanchton, le doux Melanchton, comme l’a peint Holbein, à l’œil avisé et tendre, portant son nom, ses mœurs, sa douce intelligence, écrits sur sa figure ; homme supérieur, mais effacé, qui ne semblait guère que réfléchir les qualités et les talens de ses illustres amis, Érasme et Luther, mais qui les surpassait peut-être par ce désintéressement de l’ange, qui lui faisait aimer tous ceux qu’il admirait, et voir, à travers les ténèbres des passions de ses amis et les fumées de leur rôle extérieur, quelles étaient leurs qualités réelles et ce qu’ils valaient aux yeux de Dieu.

Outre ces hommes d’élite, d’autres, encore inégalement utiles à l’œuvre commune, composaient cette armée de dialecticiens, de théologiens philosophes, de philologues, d’annotateurs, d’éditeurs, dont Érasme était le roi : royauté agitée, inquiète, comme toutes les royautés, qui avait ses ennemis et ses flatteurs, ses idolâtres et ses envieux ; qui tomba, presque au moment même où Érasme commençait à en jouir, devant celle d’un homme plus grand que lui, Luther, dont le nom, après avoir été quelque temps l’égal du sien, devait enfin le couvrir et l’effacer. — Nous en sommes arrivés vers l’an 1519. Érasme est en pleine possession de sa gloire : trois jeunes rois, les plus grands de l’Europe, montés sur le trône environ dans le même temps, François Ier, Charles-Quint, Henri viii, se disputent à qui l’aura pour sujet volon-