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ÉRASME.

nuit, vrais travaux d’Hercule qui ont nettoyé le chemin pour les belles époques de l’art moderne.

C’était Guillaume Budé, espèce de Caton littéraire très redouté, tonnant contre les mœurs de son siècle, en même temps qu’il débrouillait le système monétaire des anciens, et qu’il commentait les Pandectes ; homme austère, à la paupière contractée, au visage souffrant et ironique, comme nous le représente une gravure d’après Holbein, le portraitiste de tous ces hommes célèbres, et l’ami de plusieurs, ayant tout autour de l’œil gauche des cicatrices de petite vérole qui lui donnent l’air dur, et la bouche légèrement détournée par des habitudes maladives ; écrivain amer, aigre-doux, esprit difficile, mais prodigieux savant, dont toutes les lettres à Érasme sont mi-parties de grec et de latin, deux langues qu’il écrivait au courant de la plume, et avec une singulière énergie ; qui se disait le mari de deux femmes, sa femme légitime d’abord, et la philologie ; qui eut trop d’amour-propre et trop d’ambition du premier rang pour être l’ami de cœur d’Érasme, mais qui fut trop honnête homme pour en être l’ennemi.

C’était Thomas Morus, caractère charmant, homme plein de grâce, que nous ne nous figurons guère que sous les traits de l’intraitable censeur du mariage d’Henri viii avec Anne de Bouleyn, mais qui était enjoué, souriant, de manières aimables, avenant, aimant la plaisanterie, dit Érasme, comme s’il eût été né pour cela, et qui semblait plus destiné à égayer un festin de doctes et de femmes aimables qu’à porter noblement sa tête à l’exécuteur des hautes œuvres de Henri viii.

C’était Colet, le doyen de Saint-Paul, homme d’une vertu héroïque, ayant eu toutes les passions qui peuvent ruiner la conscience et souiller la vie, et, à force de lutter, les ayant vaincues ; chrétien austère, haïssant les moines et les couvens, ennemi des évêques, qui sont des loups, disait-il, et non pas des pasteurs ; ouvrant des écoles pour l’instruction religieuse et littéraire des enfans, et en confiant l’administration et l’enseignement à des hommes d’une probité éprouvée, et mariés ; méprisant la scolastique et ses puériles disputes, et s’exposant à la haine des évêques scotistes ; de mœurs douces, aimables, obligeantes, sauf en un point pourtant, je veux dire jusqu’à l’argent, dont il avait la maladie, et dont il