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son sorbet, et marcha à la rencontre de ser Zacomo, qu’il apercevait venir du bout de la place.

Le marchand de soieries, en quittant la princesse, s’était plongé aussi dans ses réflexions, et tout en songeant à sa fille, une idée dominante ayant éloigné ses inquiétudes paternelles, il était en proie à mille rêves de sollicitude commerciale. Au moment où Timothée l’aborda, il caressait l’acquisition prochaine d’une cargaison de soie arrivant de Smyrne pour recevoir la teinture à Venise, comme cela se pratiquait à cette époque. La soie retournait ensuite en Orient pour recevoir la fabrication, ou bien elle était fabriquée et débitée à Venise selon l’occurrence. Cette affaire lui offrait la perspective la plus brillante et la mieux assurée ; mais un rocher tombant du haut des montagnes dans la surface unie d’un lac y cause moins de trouble que ces paroles de Timothée n’en produisirent dans son ame : « Mon cher seigneur Zacomo, je viens vous présenter les salutations de mon maître Abul-Amet, et vous prier de sa part de vouloir bien acquitter une petite note de 2,000 sequins, qui vous sera présentée à la fin du mois, c’est-à-dire dans dix jours. »

Cette somme était à peu près celle dont M. Spada avait besoin pour acheter sa chère cargaison de Smyrne, et il s’était promis d’en disposer à cet effet, se flattant d’un plus long crédit de la part d’Abul. — Ne vous étonnez point de cette demande, lui dit Timothée d’un ton léger et feignant de ne point voir sa pâleur, Abul vous aurait donné, s’il eût été possible, l’année tout entière pour vous acquitter, comme il l’a fait jusqu’ici, et c’est avec grand regret, je vous jure, qu’un homme aussi obligeant et aussi généreux s’expose à vous causer peut-être une petite contrariété ; mais il se présente pour lui une magnifique affaire à conclure. Un petit bâtiment smyrniote, que nous connaissons, vient d’apporter une cargaison de soie vierge. — Oui, j’ai entendu parler de cela, balbutia Spada, de plus en plus effrayé. — L’armateur du smyrniote a appris en entrant dans le port un échec épouvantable arrivé à sa fortune ; il faut qu’il réalise à tout prix quelques fonds et qu’il coure à Corfou, où sont ses entrepôts. Abul, voulant profiter de l’occasion sans abuser de la position du Smyrniote, lui offre 2,500 sequins de sa cargaison ; c’est une belle affaire pour tous les deux, et qui fait honneur à la loyauté