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ÉRASME.

murailles sont peintes à fresque ; l’une représente des jardins et des forêts dont les arbres portent sur leurs branches, parmi les beaux fruits d’or de l’Amérique nouvellement découverte, des oiseaux de tous les plumages, étiquetés comme les fleurs du jardin ; sur l’autre est figurée la mer, avec des poissons aussi étiquetés dans ses eaux verdâtres, que quelque élève d’Holbein, qu’Holbein lui-même a peut-être peintes, tant l’art était une chose populaire alors ! C’est là qu’Érasme est à son aise ; c’est là qu’il aime, après un modeste dîner qui lui a laissé toute la liberté de son esprit, à s’entretenir avec ses amis, tantôt de l’antiquité littéraire, tantôt de la philosophie chrétienne, science sublime qu’il a osé le premier mettre au niveau, sinon au-dessus du dogme, et dont il parle avec tant d’abondance et d’onction, principalement devant la petite chapelle du Christ qui est au fond du jardin. Sur le soir, les amis se quittent, emportant chacun quelque petit présent de leur hôte, celui-ci un livre, celui-là une horloge, cet autre une lanterne, Érasme un étui rempli de plumes de Memphis (ce sont les plus renommées), présent délicat pour lui qui fait un si bon usage de la plume, comme ne manque pas de lui dire son hôte[1].

Les moines, attaqués par Érasme dans leurs excès de table, imaginèrent de lui renvoyer le reproche, et disons le mot sans périphrase, le traitèrent d’ivrogne. Érasme, se plaignant sans cesse du mauvais vin et vantant indiscrètement le bon, avait pu donner prise sur ce point. Mais de là à en faire un excès monacal, il y avait loin. Érasme avait sur le vin des opinions hygiéniques qui feraient sourire la médecine moderne. Il le croyait bon pour sa gravelle, et en prenait par régime ; mais comme en fait de vin, le régime touche de bien près au goût, et le goût à l’abus, peut-être lui était-il arrivé parfois de s’abandonner. Voici quelques phrases charmantes sur les effets du vin de Bourgogne, qui auraient pu servir de pièce victorieuse aux moines ses accusateurs, si la lettre d’où je les extrais n’avait été en mains d’amis[2]. Pour un homme sobre, je confesse que ces phrases sont tant soit peu bachiques : « J’avais, écrit-il à Marc Laurin, goûté auparavant

  1. Colloques : Convivium religiosum, passim.
  2. Lettres, 756.