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ÉRASME.

matérielles, espèce de pèlerin campé en maître sur une terre étrangère, qui s’y gorge de tous les biens que les peuples apportent à ses pieds, qui ne peut toucher à la femme qu’en la souillant, et accomplir la loi de la nature qu’en violant la loi de la famille et de la société ; mélange d’ignorance intolérante, d’astuce, de cruauté, de libertinage, de superstition, d’oisiveté crasse, de piété stupide, dont le capuchon est plus fort que bien des couronnes ; le moine, ennemi des livres, parce qu’il n’y sait pas lire ; ennemi de la science, parce qu’elle tue son jargon scolastique qui pervertit le sens des peuples ; inquiet, furieux, au milieu de cette universelle renaissance des lettres et des arts, et baissant sa lourde paupière devant la lumière de l’antiquité ressuscitée, comme un oiseau de nuit devant le jour ; le moine surpris et démasqué au fond de ses cloîtres qui reçoivent la prostitution par des poternes, ou autour des tables de son réfectoire qui retentit de chansons joyeuses ; non pas, prenez-y garde, ce moine austère, grave, abîmé en Dieu, que nous représentent nos illusions de moyen-âge, notre érudition de costumiers, et notre tolérance d’indifférens ; mais le moine violent, haineux, menacé dans ses privilèges d’ignorance et de libertinage, dans son droit acquis d’adultère et de corruption, par cette presse du XVIe siècle, qu’Érasme vient de créer ; le moine pesant sur le monde du poids de ses mille couvens, et mettant la lumière sous son capuchon, pour parodier la parole de Jésus-Christ, personnage bien moindre alors que saint Christophe, saint Benoît, saint François, et autres fondateurs d’ordres religieux ; le moine enfin, inutile quand il est pieux et honnête, plus destructeur que la peste et la guerre, quand il est intrigant, actif, habile, et qu’il a conscience de tout ce qu’il peut perdre !

Savez-vous à quoi se réduit sa science religieuse[1] ? S’il veut parler de la charité, il débutera par un exorde tiré du Nil, fleuve d’Égypte ; — du mystère de la croix, il s’étendra sur Bel, le dragon de Babylone ; — du jeûne, il commencera par les douze signes du zodiaque ; — de la foi, il préludera par la quadrature du cercle. Leurs habiles expliquent la Trinité par la réunion des

  1. Œuvres diverses, Μωρίας ἐγϰώμιον (Môrias egkômion).