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ÉRASME.

haïssant les querelles, détestant la guerre comme les mères d’Horace ; un petit corps, comme il s’appelle sans cesse[1], qui loge une ame souffrante toujours prête à s’échapper, qui n’a qu’une santé de verre[2], qui frissonne au moindre souffle, qui a des vapeurs comme une femme, et qui ne peut pas s’abandonner un jour sans se mettre en péril de mort.

Nous l’avons vu dès l’enfance, faible, souffreteux, d’un corps délicat, et comme disaient les médecins du temps, d’une contexture très menue[3], affecté de tous les changemens de temps, comme une pauvre plante exotique qui n’a plus le soleil et les saisons fixes de sa terre natale. Toutefois, la vigueur naturelle de la jeunesse, l’ardeur d’esprit, l’insouciance de l’avenir, le soutinrent long-temps, et ses dérangemens perpétuels l’affectaient peu, parce qu’il s’en préoccupait moins. Mais quand il eut passé la jeunesse, ces dérangemens devenant plus graves, et les causes de distractions moins vives, il sentit amèrement l’obstacle d’une mauvaise santé dans un temps et au milieu d’affaires pour lesquels il ne fallait pas moins que les larges épaules, le corps robuste, et la santé de fer de Luther. Érasme était d’ailleurs l’homme aux accidens ; soit fatalité, soit qu’on ait d’autant plus à souffrir qu’on est plus vulnérable, soit qu’un être faible attire les mauvaises aventures, il n’y en avait guère auxquelles il échappât. S’il survenait quelque averse de neige, la plus forte qu’on eût vue de mémoire de vieillard, quelque pluie furieuse, un ouragan, un froid subit, c’était pour lui. Pour lui, les chemins les plus sûrs étaient infestés de voleurs ; pour lui, la mer était toujours mauvaise, et toutes les barques chaviraient sous son petit corps si frêle, à peine assez lourd pour les faire pencher ; pour lui, le cheval le plus solide des jambes en manquait tout à coup sur une route unie, et le plus doux de caractère prenait le mors aux dents. Il en faisait le sujet de jolies lettres à ses amis.

Une fois, c’est une nuée de puces qui s’abat sur sa maison de

  1. Lettres, édition in-folio de Leyde, 766. A.
  2. Ibid. Valetudo plus quàm vitrea. 1820. A. B.
  3. 1512. A.