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REVUE DES DEUX MONDES.

iv.
Caractère d’Érasme. — Sa santé.

Pour comprendre quelle fut la vie d’Érasme, il faut se faire une idée de la confusion et du tumulte de son époque, et se représenter cette Europe de la fin du xve siècle, et des premières années du xvie, labourée par la guerre et décimée par la peste, où toutes les nationalités de l’Europe intermédiaire s’agitent et cherchent leur assiette sous l’unité apparente de la monarchie universelle d’Espagne ; où l’on voit d’un même coup d’œil des querelles religieuses et des batailles, une mêlée inouie des hommes et des choses, une religion naissante qui va se mesurer avec une religion usée d’abus ; l’ignorance de l’Europe occidentale qui se débat contre la lumière de l’Italie ; l’antiquité qui sort de son tombeau, et les langues mortes qui renaissent, et la grande tradition littéraire qui vient rendre le sens des choses de l’esprit à des générations abêties par les raffinemens de la dialectique religieuse ; du fracas partout, du silence nulle part ; les hommes vivant comme des pélerins, et cherchant leur patrie çà et là, le bâton de voyage à la main ; une république littéraire et chrétienne de tous les esprits élevés, réunis par la langue latine, cette langue qui faisait encore toutes les grandes affaires de l’Europe à cette époque ; d’épouvantables barbaries à côté d’une précoce élégance de mœurs, un monde livré aux soldats et aux beaux esprits, aux moines mendians, ignorans et stupides, et aux artistes ; un chaos où s’enfantait la société moderne, une immense mêlée militaire, religieuse, philosophique, monacale ; enfin, — car j’ai hâte de quitter cette prétention à résumer une époque dont Dieu seul a le sens, — nulle place tranquille, nulle solitude en Europe, où un homme pût se recueillir et se sentir vivre ; il faut s’imaginer tout cela, et jeter au milieu de cette confusion un homme débile, languissant, avide de repos, et enchaîné à l’activité, plein de sens et partant de doute, doux, bienveillant,