Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/280

Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
REVUE DES DEUX MONDES.

barque ayant chaviré, le pauvre Érasme était tombé dans la mer et en avait été retiré plus nu et plus pauvre qu’après la visite des douaniers anglais : ses angelots d’or étaient restés au fond de l’eau. D’autres malheurs l’attendaient sur le rivage de France. Il s’était fait prêter quelque argent pour aller de Calais à Paris. Comme il cheminait à dos de cheval, dans la compagnie d’un Anglais, sur la route d’Amiens, des voleurs lui avaient fait la conduite pendant plus d’un jour, flairant s’il était de bonne prise : mais cette fois sa pauvreté l’avait bien servi ; les voleurs, s’étant aperçus qu’il était pauvre, n’avaient pas voulu l’assassiner pour si peu. Érasme leur avait ôté toute tentation en se laissant prendre le peu qui lui restait. Toutes ces pertes l’avaient réduit : « Tirez de la marquise tout ce que vous pourrez, écrivait-il à Battus ; arrachez, grattez ; j’en ferai autant de mon côté. Je sens combien ce conseil est honteux et répugne à mon caractère ; mais le besoin me force à essayer de tout. » Mais Battus n’obtenait rien ; son rôle était difficile. Il était précepteur chez la marquise, et apparemment mal payé, à cause du désordre des affaires ; il avait à penser à lui avant de penser à son ami. Érasme s’adressa à la rhétorique ; il écrivit à la marquise de Wéere une lettre calculée pour l’effet. Il s’était frotté le front, dit-il, il avait fait taire ses scrupules, son caractère, cette pudeur virginale qui sied à l’homme de lettres ; il avait fléchi sous la nécessité.

La flatterie intéressée l’inspirait mal. Cet homme, si habile à tourner un compliment librement donné, qui savait relever les gens sans se rabaisser lui-même, à peu près sur le ton de Voltaire écrivant aux souverains, est plat et prétentieux quand ses flatteries sont des demandes d’argent. Mais est-ce la faute de celui qui demande ou de celui qui ne tient pas ce qu’il promet ? La marquise de Wéere, qui badinait tout-à-l’heure avec un amant, la voilà devenue vierge. Lisez le passage qui explique cette métamorphose : « Je vous ai envoyé, à vous qui vous appelez Anne, une hymne que j’ai composée en l’honneur de votre patronne sainte Anne ; ces vers sont de ma jeunesse, car, dès mes premières années, j’ai rendu un culte tendre à cette sainte. J’ai joint à ces vers quelques prières de mon invention, qui pourront vous servir comme d’enchantemens magiques pour faire descendre du