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ÉRASME.

d’Érasme, en étaient devenus fous, ou aveugles, ou lépreux : quelques-uns en étaient morts. Lui-même en fut si malade, qu’il eut beaucoup de peine à se rétablir, et qu’il en aurait perdu la vie, s’il faut l’en croire, sans la protection de sainte Geneviève.

Il paraît qu’encore au temps de Rabelais, lequel publia son livre après la mort d’Érasme, le collége de Montaigu n’avait rien changé à son régime, car voici ce qu’en dit Ponocrates, précepteur de Gargantua, au père de son élève Grandgousier :

« Seigneur, ne pensez que ie laye miz on colliege de pouillerye quon nomme Montagu : mieulx l’eusse voulu mettre entre les guenaulx de saint Innocent pour lenorme cruaulté et villenye que iy ay cognu ; car trop mieulx sont traictez les forcez (forçats) entre les Maures et les Tartares, les meurtriers en la prison criminelle, voyre certes les chiens en vostre maison, que ne sont ces malauctruz on dict colliege. Et si iestais roy de Paris, le dyable m’emport (m’emporte), si ie ne mettoys le feu dedans et feroys brusler principal et regens qui endurent ceste inhumanité devant leurs yeulx estre exercee. »

L’amour des livres et de la théologie avait fait venir une première fois Érasme à Paris ; le régime du collége de Montaigu et la maladie l’en chassèrent. Il y revint bientôt pour continuer ses études : cette seconde fois ce fut la peste qui l’en fit sortir. Il erra en Flandre et en Hollande, fuyant devant le fléau, qui parcourait l’Europe en tous sens, tombant où on ne l’attendait pas, ne venant pas où on l’attendait. On était sur la fin du xve siècle. Érasme approchait de trente ans. Ses premiers écrits, ses lettres, l’avaient mis en renom ; c’était à qui le protégerait et lui offrirait des pensions, sauf à n’en payer que le premier mois. Il avait trouvé du même coup la célébrité et la pauvreté. Il donnait des leçons çà et là, et vivait de leur produit ; mais quand les leçons manquaient, il fallait bien qu’il implorât ses protecteurs, et qu’il leur demandât comme une charité ce qu’il aurait pu exiger comme une dette. Les protecteurs ne répondaient pas ou répondaient qu’ils n’avaient rien, ou recommandaient Érasme à leur intendant, qui gardait les arrérages pour lui. Plus d’une fois, Érasme fut obligé de prendre le ton d’un mendiant, et d’étaler sa pauvreté comme les mendians étalent leurs plaies, faisant avec sa rhétorique ce