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ÉRASME.

lui montrât de la faveur. Plusieurs mois s’écoulèrent ainsi dans l’insouciance. Mais quand vint le jour de prendre l’habit, Érasme, rentré en lui-même, parla de nouveau de sa liberté ; on lui répondit par de nouvelles menaces. Cantelius ne négligeait aucun des moyens qui lui étaient propres ; il tenait à ne pas perdre un précepteur gratuit. Érasme fit vainement une dernière résistance ; à la fin, il tendit le cou, comme l’agneau du sacrifice, et on lui jeta l’habit.

Ce point obtenu, on continua les bons traitemens et les caresses. Une année tout entière se passa, sans de vifs regrets de sa part. Mais peu à peu le régime changea ; il s’aperçut alors que ni son corps ni son ame ne s’accommodaient de la vie du couvent. Il y voyait les études délaissées ou méprisées. Au lieu d’une vraie piété où il aurait eu du goût, c’étaient des chants et des cérémonies sans fin ; ses frères les moines étaient pour la plupart des hommes lourds, ignares, adonnés au ventre, disposés à opprimer quiconque, parmi eux, montrait un esprit délicat, et plus de penchant pour l’étude que pour la table. Le plus robuste de corps y était le plus influent. Érasme n’avait plus qu’un espoir, espoir assez triste ; c’était d’être préposé quelque jour à un couvent de filles, place où il fallait beaucoup boire, et qui n’était pas sans danger pour la chasteté ; outre qu’on était exposé, sur le retour de l’âge, à se voir renvoyé dans le couvent d’où l’on était sorti, et remplacé par un prieur plus jeune, et plus propre à toutes les fatigues de la place. On avait commencé par l’exempter du jeûne ; mais bientôt on l’y astreignit. Or, il était d’un tempérament si exigeant sur le point de la nourriture, que, si le repas était retardé d’une heure, le cœur lui manquait, et il s’évanouissait. Le froid le faisait beaucoup souffrir, ainsi que le vent, et pour quelques nuages de plus ou de moins qui passaient dans le ciel, tout son corps était troublé. Comment avoir chaud dans un couvent malsain, aux longs corridors humides, aux cellules mal closes ? Érasme y était sans cesse grelottant. Dans les jours de jeûne, ou d’abstinence de viande, ce repas consistait en poissons ; mais l’odeur seule du poisson lui donnait la migraine, avec un mouvement de fièvre. Enfin il avait le sommeil léger, se rendormait avec peine, et seulement après quelques heures :