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MATTEA.

facilement, les diverses langues des peuples qu’il avait visités. Le dialecte vénitien était un de ceux qu’il possédait le mieux, et le teinturier Abul-Amet, négociant considérable, dont les ateliers étaient à Corfou, l’avait pris depuis peu pour inspecteur de ses ouvriers, teneur de livres, truchement, etc. Il avait en lui une extrême confiance, et prenait un grand plaisir à écouter silencieusement, et sans la moindre marque d’intelligence ou d’approbation, ses joyeuses saillies et son babil spirituel.

Il faut dire en passant que les Turcs étaient et sont encore les hommes les plus probes de la terre. De là une grande simplicité de jugement et une admirable imprudence dans les affaires. Ennemis des écritures, ils ignorent l’usage des contrats et des mille preuves de scélératesse qui ressortent des lois de l’Occident. Leur parole vaut mieux que signatures, timbres et témoins. Elle est reçue dans le commerce, même avec les nations étrangères, comme une garantie suffisante, et à l’époque à laquelle vivaient Abul-Amet, Timothée, et cet illustre M. Spada, il n’y avait point encore eu à la Bourse de Venise un seul exemple de faillite de la part d’un Turc. On en compte deux aujourd’hui. Les Turcs se sont vus obligés de marcher avec leur siècle et de rendre cet hommage au règne des lumières.

Quoique mille fois trompés par les Grecs et par les Vénitiens, populations également avides, retortes et rompues à l’escroquerie, avec cette différence que les riverains orientaux de l’Adriatique ont servi d’exemples et de maîtres à ceux de l’Occident, les Turcs sont exposés et comme forcés chaque jour à se laisser dépouiller par ces fourbes commettans. Peu pourvus d’intelligence et ne sachant dominer que par la force, ils ne peuvent se passer de l’entremise des nations civilisées. Aujourd’hui, ils les appellent franchement à leur secours. Dès-lors, ils commençaient à rechercher leur influence et leur aide. Ils s’abandonnaient à leurs Grecs, esclaves adroits qui savaient se rendre nécessaires, et qui se vengeaient, par la ruse et la supériorité d’esprit, de l’oppression sanguinaire et brutale. Il y avait pourtant encore quelques honnêtes gens parmi ces fins larrons, et Timothée était à tout prendre un honnête homme.

Timothée était un très joli garçon, quand on voulait se donner la peine de le regarder. Au premier abord, comme il était d’une