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ÉRASME.

s’était consommé ce fait, lequel, remarquait-elle, dominait celui de la naissance. Les magistrats et les légistes de Tergou, mus d’ailleurs par une louable ambition, prétendaient qu’Érasme était plus bourgeois de Tergou que de Rotterdam, parce que, selon les lois, le lieu où les enfans naissent par hasard n’est point censé leur patrie. « Si dans le cours d’un voyage, disaient-ils, une femme accouche dans une ville où elle n’a pas l’intention de résider, où elle ne doit rester que le temps de relever de couches, l’enfant né dans cette ville en sera-t-il le citoyen, et non pas plutôt celui de la ville où sont domiciliés ses parens ? La mère d’Érasme, grosse par suite d’une liaison illégitime, était allée faire ses couches à Rotterdam, pour cacher sa faute ; mais c’était là un pur accident : c’est à Tergou qu’elle avait conçu et porté dans son sein le glorieux enfant. Donc Érasme devait être citoyen de Tergou. » Des esprits de poids, des noms littéraires, prirent parti dans cette étrange querelle.

Érasme, comme on sait, naquit des amours d’un bourgeois de Tergou, qui depuis se fit moine, et de la fille d’un médecin, femme de mérite, et, sauf sa faute, de mœurs très pures, et d’une vie édifiante, qui pouvait, dit un écrivain du temps, se défendre comme Didon :


Huic uni forsan potui succumbere culpæ.


Cette femme mit au monde son enfant dans une maison écartée de Rotterdam, sans le touchant honneur qu’on rendait aux mères dont l’église avait béni le mariage. Cet honneur consistait en une pièce de linge blanc et fin dont on entourait le marteau de la porte, pour désigner à la sympathie des passans la maison de la nouvelle accouchée. L’enfant naquit inconnu dans les bras des hôtes inconnus à qui sa mère avait acheté l’hospitalité et le secret pour huit jours. Cette naissance fut un reproche sanglant dans les mains des ennemis de l’enfant devenu homme illustre. Le fameux Jules Scaliger, entre autres, qui avait une jalousie misérable contre Érasme, ne pouvant rien contre ses écrits, s’en prit honteusement à sa naissance. Les lettres qu’il écrivit à ce sujet, les réponses d’Érasme, et le scandale littéraire qui en résulta, ne furent